Entretien réalisé le vendredi 6 mai dans la matinée, en roumain et par téléphone.
Directeur exécutif de l’association Pro Infrastructura, Ionuț Ciurea revient sur les infrastructures routières en cours de finalisation, et explique les retards…
Quels projets d’infrastructures routières ont des chances d’être inaugurés cette année ?
Au mois de juin, nous assisterons à l’ouverture de 16 km d’un premier tronçon de la voie rapide reliant Craiova à Pitești, à savoir le périphérique de Balș, et de 24 km du tronçon voisin, soit le périphérique de Slatina. S’y ajouteront, sauf imprévu, les treize premiers km de l’autoroute Pitești-Sibiu, soit le tronçon Sibiu-Boița, dans une zone plutôt collinaire qui pose moins de problèmes aux constructeurs. Il y a aussi des chances de voir s’ouvrir une dizaine de km entre Bragadiru et Jilava sur les 102 que comptera au total le périphérique de Bucarest ; mais on n’est pas sûrs qu’il seront prêts cette année. Il faut ensuite mentionner le pont suspendu de Brăila, un projet très important qui devrait être inauguré en décembre, même si les travaux sur les routes d’accès se poursuivront.
Cela fera 53 km inaugurés en un an… Comment s’explique une telle lenteur ?
À mon avis, il s’agit surtout d’incompétence et d’incurie de la part des autorités, et de leur désintérêt. Pour faire bouger les choses, il faudrait commencer par professionnaliser les entreprises publiques du secteur, à savoir la Compagnie nationale des autoroutes (CNAIR, ndlr), les chemins de fer (CFR, ndlr), ou encore la Compagnie nationale des aéroports de Bucarest (CNAB, ndlr). Or, il semble que ces sociétés aient été créées spécialement pour offrir des sinécures aux membres des partis politiques, à leurs amis ou à leurs proches, des individus qui en général n’ont aucune expérience ou compétence dans les domaines respectifs. Après la chute du régime communiste, la Roumanie a recommencé à construire des autoroutes, à partir du début des années 2000. Mais aujourd’hui, on constate qu’après vingt ans, le pays n’a rien appris de ses erreurs. Cela explique pourquoi nous comptons aujourd’hui moins de 1000 km d’autoroutes, alors que nous en aurions besoin de 2000. Calculez combien d’années seront nécessaires pour aboutir à ce nombre, alors que la moyenne annuelle de nouveaux km construits tourne autour de 50.
Que perd la Roumanie du fait de l’absence d’infrastructures ?
Tout d’abord, elle perd des vies. La Roumanie est en tête en Europe pour le nombre de victimes d’accidents de la route, soit 90 décès par million d’habitants – le double de la moyenne européenne.* Tous les ans, environ 2000 personnes meurent sur les routes, et ce sans compter les blessés. Ensuite, le pays perd de l’argent, beaucoup d’argent. Exemple : la Cour internationale d’arbitrage a condamné la Roumanie à payer 230 millions de lei – environ 46 millions d’euros – de dédommagements pour la résiliation injustifiée en 2016 d’un contrat d’autoroute signé avec une compagnie italienne. Parfois, les autorités se trompent dans la conception d’un projet routier, et sur le terrain, elles constatent qu’il faut recommencer les travaux. Il y a ensuite des coûts supplémentaires pour beaucoup d’entreprises, qui voient leurs activités ralenties ou stoppées à cause de ce manque d’infrastructures ; mais aussi pour nous tous qui perdons énormément de temps bloqués dans le trafic. Cela génère enfin pollution et maladies pour les automobilistes, donc des coûts pour se faire soigner. Le transport représente le système circulatoire de l’économie ; s’il y a des caillots, c’est l’ensemble du système qui souffre.
Propos recueillis par Mihaela Rodina.
* Voir le tableau des victimes d’accidents de la route dans l’Union européenne de 1991 à 2020 (source : insee.fr) : https://www.insee.fr/fr/statistiques/2387005#tableau-figure1
À lire ou à relire, notre premier entretien avec Ionuț Ciurea (« Regard, la lettre » du 13 mars 2021) : https://regard.ro/ionut-ciurea/