Tour d’horizon du contexte politique en Serbie avec Igor Bandović, directeur du think tank Bezbednost, le Centre de politique de sécurité de Belgrade…

Quels sont les principaux enjeux des élections présidentielles et parlementaires de 2022 en Serbie ?

Aujourd’hui, la question la plus importante ne concerne pas vraiment les programmes ou les candidats, mais les conditions à mettre en place pour des élections justes et libres. En ce moment, la scène politique est dominée par le parti au pouvoir, le Parti progressiste serbe, qui est celui du président Aleksandar Vučić. Ce parti, de plus en plus autoritaire, contrôle également le Parlement. En juin 2020, les partis d’opposition ont décidé de boycotter les élections législatives*. En collaboration avec les organismes nationaux qui contrôlent les élections, ils ont observé des irrégularités. Et cela concerne d’abord la liberté de la presse, car la représentation médiatique est clairement déséquilibrée entre les partis politiques. La plupart des médias, surtout la télévision, sont en faveur des candidats du parti du président. Des irrégularités ont également été observées dans certains territoires, où les votants étaient soumis à du chantage et forcés de voter pour le parti et sa coalition au pouvoir. Nous discutons donc de la mise en place de conditions sine qua non pour que les prochaines élections se déroulent de manière démocratique et juste. Les autres discussions concernent l’entrée de la Serbie dans l’Union européenne, qui est d’abord conditionnée par sa capacité à mettre en place un état de droit et, bien sûr, le dialogue entre le Kosovo et la Serbie. Le Premier ministre du Kosovo et le président serbe vont d’ailleurs se rencontrer en juin pour définir un cadre de discussion. C’est l’un des plus gros enjeux pour la Serbie, cela montrera si le pays a le potentiel d’être un membre crédible de l’UE**.

* Les prochaines élections législatives auront lieu en mars-avril 2022, en même temps que l’élection présidentielle.

** Article détaillé sur l’état des relations diplomatiques entre la Serbie et le Kosovo : https://reliefweb.int/report/serbia/kosovo-le-chef-de-la-minuk-appelle-saisir-l-opportunit-que-pr-sente-le-nouveau

Comment jugez-vous la scène politique aujourd’hui en Serbie ?

À l’instar de la société, elle est assez polarisée, il y a les pro-gouvernementaux et ceux qui sont contre le pouvoir en place. Parmi ces derniers, on retrouve une multitude de partis que l’on appelle les « forces pro-européennes ». La droite extrémiste est également contre le gouvernement actuel. Près de 50% de l’électorat vote pour le président et sa coalition, le reste pour l’opposition. Ces dernières années, le parti des Verts notamment attire de plus en plus d’électeurs, il peut être considéré comme le plus moderne de la scène politique serbe. On observe d’ailleurs de nombreuses manifestations à travers la Serbie pour la défense de l’environnement et contre la pollution causée par des technologies utilisées notamment par des sociétés chinoises, la Chine investissant beaucoup dans les Balkans ; ou contre des investisseurs véreux qui ne respectent pas les lois locales de protection de l’environnement.

Quel est l’état du système judiciaire ?

Le pays est encore dans un processus de mise en place de réformes constitutionnelles pour un meilleur système judiciaire au service des citoyens. Pour le moment, les discussions restent superficielles et ne vont pas dans la direction des vrais besoins de changement. La situation est même alarmante ; il y a des dysfonctionnements de l’état de droit, les magistrats sont soumis à des pressions politiques et les procureurs ne sont pas indépendants. Ces dernières années, nous avons observé une hausse du crime organisé et de la corruption systémique, mais il n’y a eu aucune décision de justice pour y mettre fin. Seulement 12% des citoyens serbes ont confiance dans le système judiciaire, cela montre la gravité du problème. Nous n’avons pas de structures telles que la DNA et DIICOT en Roumanie. Notre think tank Bezbednost essaie d’ailleurs de pousser l’État à mettre en place ce type de mécanismes.

Propos recueillis par Marine Leduc.