Entretien réalisé le mercredi 16 mars dans la matinée, par téléphone et en anglais (depuis Sofia).
Daniel Smilov, professeur de sciences politiques à l’université de Sofia, se penche sur la position de la Bulgarie, traditionnellement proche de la Russie, vis-à-vis de la guerre en Ukraine…
Comment les autorités bulgares et, plus généralement, la population se rapportent-elles à l’invasion de l’Ukraine par la Russie ? Y a-t-il eu des divisions au sein du pouvoir ?
Les autorités ont clairement exprimé leur opposition à la guerre lancée par Vladimir Poutine, tous les grands partis politiques ont condamné les agissements de Moscou, donc pas de division là-dessus. Juste une petite formation, Vazrazhdane (Renaissance, en bulgare, ndlr), traditionnellement russophile et populiste, s’est positionnée différemment, ce fut la seule exception. Toutefois, si les différents acteurs politiques sont sur la même longueur d’onde, il y a quelques nuances ; le Premier ministre Kiril Petkov, qui est très pro-européen et pro-Otan, s’est déclaré en faveur de sanctions plus dures envers la Russie, évoquant y compris l’envoi d’une aide militaire à l’Ukraine. Mais les socialistes qui font partie de la coalition au pouvoir ont exprimé des doutes, estimant que la Bulgarie devrait se contenter d’envoyer uniquement de l’aide humanitaire. Ceci dit, je pense que s’il y avait une position commune de l’Otan au sujet du soutien militaire, la Bulgarie ne s’y opposerait pas. Il y a eu, par ailleurs, quelques différends entre le gouvernement et le président Roumen Radev, ce dernier ayant notamment proposé que la Bulgarie surveille son espace aérien avec ses propres avions et pilotes. Cela montre une certaine opposition à la présence d’avions ou de troupes de l’Otan stationnées en Bulgarie, qui sont pourtant destinées à seconder le pays en cas de problème. C’est un peu surprenant, car il est évident que nous n’avons pas la capacité de nous protéger seuls si les choses tournaient mal au-dessus de nos têtes. D’autre part, la Bulgarie est une république parlementaire, et le dernier mot sur cette question n’appartiendra pas au président.
Pensez-vous que les relations entre la Bulgarie et la Russie seront affectées par cette guerre ?
Pour des raisons historiques, la Bulgarie est davantage pro-russe que les autres pays d’Europe de l’Est, à l’exception de la Serbie. Avant la guerre, la popularité de Poutine était très élevée ; mais désormais, environ 60% des Bulgares condamnent son agression contre l’Ukraine, sa popularité a fortement chuté. Certes, il existe toujours une minorité de près de 30% qui exprime son soutien à la Russie, toutefois le revirement est clair. Cela veut dire que les gens peuvent faire la différence entre des liens culturels traditionnels et une guerre menée par le président Poutine.
La Bulgarie accueille-t-elle beaucoup de réfugiés ukrainiens ?
Pas autant que la Pologne, la Roumanie ou la république de Moldavie, mais plusieurs dizaines de milliers quand même, soit beaucoup plus qu’elle n’en avait accueilli lors de la crise de 2015. Les gens sont très réceptifs, ils offrent aux réfugiés accueil, aide ou transport. Il existe en outre une minorité bulgare en Ukraine, et nombre de ses membres souhaitent se rendre en Bulgarie où ils ont des proches. Au début de la crise, les autorités n’étaient pas bien préparées. Aujourd’hui, des mesures ont été mises en place. Lors des précédentes crises, les réfugiés étaient accueillis dans des camps, maintenant ils sont hébergés dans les villes ou dans les stations touristiques du bord de la mer Noire, dont les hôteliers reçoivent un financement de la part du gouvernement. Les autorités ont par ailleurs accéléré l’octroi d’une forme de protection aux réfugiés, qui leur donne notamment accès au système de santé bulgare.
Propos recueillis par Mihaela Rodina.
À lire ou à relire, notre premier entretien avec Daniel Smilov (« Regard, la lettre » du 24 avril 2021) : https://regard.ro/daniel-smilov/. Nous l’avions interrogé sur la situation politique en Bulgarie.