Entretien réalisé le lundi 10 avril dans la matinée, par téléphone et en roumain.
Directeur de programmes au sein de l’association Salvați Copiii (Sauvez les enfants), George Roman se penche ici sur les adolescents roumains et les difficultés auxquelles ils sont confrontés…
L’adolescence a toujours été considérée comme un âge difficile, existe-t-il aujourd’hui des défis particuliers pour les adolescents roumains ?
En Roumanie, le harcèlement scolaire est l’un des défis majeurs auxquels sont confrontés les enfants, et ce dès l’école primaire. Un phénomène qui devient encore plus inquiétant au collège et au lycée, lorsqu’émergent plus clairement des différences sociales et celles relatives à la manière de communiquer, ce charisme social dont jouissent certains, tandis que d’autres ne l’ont pas. Selon une étude récente réalisée par notre association, un enfant sur deux déclare avoir été harcelé, menacé ou humilié à l’école, une hausse exponentielle par rapport à une analyse précédente menée en 2016, lorsque 29% des enfants se disaient victimes de harcèlement. Il faut ensuite souligner que dans les zones vulnérables du pays, il existe des catégories d’enfants qui n’ont pas accès à une éducation de qualité, qui doivent suivre des cours dans des écoles insalubres, avec des enseignants peu compétents, et qui sont également privés d’accès à la santé et à l’éducation sanitaire. Alors que la Roumanie enregistre le plus grand nombre de mères adolescentes, soit environ 50% des cas recensés en Europe. En outre, environ 3000 localités manquent d’assistants sociaux, ce qui veut dire que les enfants et les adolescents sont tout simplement invisibles pour les services sociaux. Les situations d’abus, de négligence et de pauvreté extrême sont très souvent ignorées par les autorités.
Quid des abus sexuels ?
Il s’agit d’un phénomène très peu rapporté. Selon les données fournies par les ministères Public et de la Justice, environ 90% des plaintes se perdent, soit par manque de preuves, soit parce que certains dossiers sont classés sans suite, les victimes se rétractant. Les tribunaux classent à leur tour une partie des cas. Ainsi, seules 5% des plaintes aboutissent à des condamnations, c’est-à-dire à des peines avec sursis dans quatre cas sur cinq. Cela veut dire que l’agresseur peut retourner dans sa communauté. Ce tableau déjà sombre le devient encore plus si l’on pense que nombre de tels abus sont passés sous silence au sein même des communautés ou des familles. Les causes sont notamment liées au manque d’éducation. Tout indice relatif à un possible abus sexuel doit être traité de manière sérieuse et rapporté aux autorités, ce qui n’est très souvent pas le cas. Beaucoup de plaintes sont dès le début vouées à l’échec, d’autant que les questions de la police semblent plutôt destinées à bloquer de possibles poursuites pénales, et que l’assistant social tend à prendre au sérieux plutôt les dénégations, y compris celles des parents de la victime supposée. Ici encore, il faut rappeler l’importance de l’éducation sanitaire et de son volet sur l’éducation sexuelle, systématiquement bloqués, malheureusement, par les politiques.
La consommation de drogues représente-t-elle également un phénomène grave ?
Absolument, c’est un fléau qui a échappé à tout contrôle. Ces dernières années, nous avons assisté à un nombre croissant d’adolescents consommateurs de drogues qui sont devenus des trafiquants. Or, les écoles semblent étonnées par ce phénomène. Si l’on veut savoir ce qui se passe chez les adolescents, il faut dialoguer avec eux. Mais l’école ne saura jamais ce qui se passe si elle n’implique pas les élèves dans ses décisions. En les tenant à l’écart, les enseignants deviennent complices, d’une certaine manière, car ils ne veulent ni entendre ni écouter leurs élèves désireux de signaler des problèmes et de proposer des solutions.
Propos recueillis par Mihaela Rodina.
Note : à lire ou à relire, notre entretien avec la psychologue clinicienne Alexandra Cichirdan sur les manifestations de la dépression chez les adolescents (« Regard, la lettre» du samedi 4 février 2023) : https://regard.ro/alexandra-cichirdan/