Entretien réalisé le samedi 28 janvier en début d’après-midi, par téléphone et en roumain.
Alexandra Cichirdan est psychologue clinicienne. Elle explique ici les manifestations de la dépression chez les adolescents…
Selon une étude menée sur 5000 individus pendant les neufs premiers mois de l’année dernière, le nombre de jeunes Roumains souffrant de symptômes dépressifs aurait fortement augmenté. Ces derniers seraient-ils davantage atteints par la dépression que les générations précédentes ?
Il est difficile de dire si, de nos jours, la dépression touche plus de jeunes qu’il y a vingt ou trente ans. À l’époque, de telles statistiques n’existaient pas. En revanche, la relation parents-enfant a bien changé et, selon moi, pas de la manière la plus optimale. Les parents d’aujourd’hui sont très occupés, émotionnellement indisponibles, plutôt absents de la vie de leurs enfants, ce qui pousse ces derniers à se sentir très vite seuls et mal aimés. Or, les sentiments ressentis pendant l’enfance refont surface d’une manière encore plus forte à l’adolescence. Par ailleurs, on parle d’une génération de parents née à l’époque communiste. Ils ont souffert de toutes sortes de privations, ce qui les pousse à vouloir tout offrir à leurs enfants. Du coup, ces derniers ne savent pas gérer la frustration, qu’ils ne connaissent pas au sein du cercle familial. Une fois adolescent, la moindre manifestation de ce sentiment risque de les faire souffrir de façon exagérée. Ils en déduisent alors qu’ils sont déprimés.
Mais quels sont les vrais signes de la dépression ?
Il ne faut effectivement pas confondre la dépression avec la déprime spécifique à l’adolescence. La dépression se caractérise par des troubles s’inscrivant dans la durée et entraînant une souffrance significative qui a un impact sur le quotidien de l’adolescent. Celui-ci peut refuser de sortir du lit pendant plusieurs jours, il est apathique, il refuse de manger, ou bien il mange tout le temps. Il peut essayer d’échapper à la souffrance par des comportements destructeurs, la consommation excessive d’alcool, de drogues, de sexe… Il peut avoir des pensées suicidaires. La dépression ne s’installe pas d’un coup. Il y a des signes que les parents doivent observer afin d’intervenir avant que les choses ne se compliquent.
Comment les parents et l’environnement, l’école, les professeurs, devraient-ils agir pour aider un adolescent atteint de dépression ?
La première chose, et la plus importante, est d’être présent, à l’écoute, et émotionnellement disponible. Ignorée, la dépression risque d’entraîner des comportements graves, comme l’automutilation ou le suicide. Si l’on voit que l’enfant s’isole, qu’il ne mange plus ou qu’il mange de façon compulsive, s’il reste dans le noir, s’il refuse de se laver, de parler, alors il faut demander l’aide d’un spécialiste. L’école publique roumaine n’est pas capable de proposer un soutien psychologique. D’autant que souvent, ces enfants se conduisent normalement en cours, leur dépression n’est pas forcément visible. Mais attention, le traitement médicamenteux de la dépression n’enlève pas la cause. Il atténue les symptômes, sans guérir la souffrance. La source de la souffrance est, dans la plupart des cas, la relation avec les parents. C’est là-dessus qu’il faut insister.
Propos recueillis par Ioana Maria Stăncescu.