Entretien réalisé le vendredi 10 mars dans la soirée, par téléphone et en roumain.
Sans l’énergie nucléaire, le monde ne pourra pas atteindre ses objectifs de réduction significative de la pollution de la planète dans les décennies à venir, prévient Eugenia Gusilov, directrice du Romania Energy Center…
Comment voyez-vous l’évolution du bouquet énergétique en Roumanie ? L’énergie nucléaire pourrait-elle jouer un rôle encore plus important ?
L’énergie nucléaire joue déjà un rôle important dans le mix énergétique roumain, puisqu’elle représente environ 20 % du total de ce bouquet. Notre centrale nucléaire de Cernavodă fonctionne à 92 % pour un réacteur, et à 96 % pour l’autre. De ce point de vue, le nucléaire assure notre sécurité, en ce sens qu’il fournit de l’énergie de manière constante, on peut compter sur lui. Ceci étant, notre bouquet énergétique est en train de se transformer de façon assez radicale. Parallèlement aux panneaux solaires installés par les particuliers, de nouveaux grands projets d’énergie renouvelable sont en cours. Je pense notamment à l’immense parc photovoltaïque d’Arad de 1000 MW – qui devrait se terminer en 2025, ndlr. D’autres seront également mis en œuvre grâce à des fonds européens, en particulier dans les régions qui dépendent encore beaucoup du charbon. Dans les cinq à huit prochaines années, nous disposerons de beaucoup plus de capacités solaire, éolienne et géothermique. Ceci dit, la Roumanie n’a pas renoncé pour autant aux réacteurs 3 et 4 de Cernavodă*. Il y a aussi les projets de petits réacteurs modulaires, dont le premier sera probablement installé à Doicești (département Dâmbovița, ndlr), où il y a déjà une connexion au réseau. Mais la question clé, lorsque nous parlons de la Roumanie, est de savoir combien de temps il faudra pour construire toutes ces nouvelles capacités. Car les plans sur le papier ne sont jamais suivis.
* Mardi 14 mars, le Parlement roumain a adopté un projet de loi approuvant la signature d’un accord de soutien entre l’État roumain et Nuclearelectrica pour la construction des unités 3 et 4 de la centrale nucléaire de Cernavodă. L’unité 3 entrerait en service fin 2030, et l’unité 4 en 2031. L’énergie nucléaire produite par ces deux nouveaux réacteurs couvrira 36% des besoins en électricité du pays, contre 20% actuellement. En espérant que cette troisième tentative pour réaliser l’investissement – cette fois-ci avec l’aide des États-Unis – sera la bonne.
D’autres pays européens ont décidé d’abandonner l’énergie nucléaire pour se concentrer davantage sur les énergies renouvelables, c’est le cas notamment de l’Allemagne…
En Europe, il existe un noyau dur de 14 pays, 13 de l’Union européenne plus le Royaume-Uni, qui promeuvent le nucléaire comme un élément crucial de leur mix énergétique. D’ailleurs, les organismes internationaux, dont les Nations unies et l’Agence internationale de l’énergie atomique, affirment que sans le nucléaire, il sera très, très difficile d’atteindre la neutralité climatique que nous souhaitons pour 2050. Autrement dit, avec les seules énergies renouvelables, il sera pratiquement impossible d’y parvenir.
Le problème des déchets nucléaires reste cependant un héritage très lourd pour les générations à venir…
Effectivement, il s’agit d’un problème grave qui doit être traité sur le long terme, c’est-à-dire pendant des décennies, voire sur une centaine d’années. Où les stocker et comment les gérer de manière à ne pas mettre en danger les générations à venir ? Sur ce sujet, nous avons du travail, tant en Roumanie qu’au niveau européen. Certains pays, comme la Suède, ont déjà fourni un modèle de bonnes pratiques sur la façon d’administrer un site de stockage à long terme. Comment s’en occuper ? Quels signes, quelles indications pourront avertir les personnes qu’il y a là des déchets dangereux ? À mon sens, la solution à ce problème doit être interdisciplinaire.
Propos recueillis par Carmen Constantin.
À lire ou à relire en complément de cet entretien, les propos de Dumitru Chisăliță, professeur universitaire et président de l’Association énergie intelligente – Asociația Energia Inteligentă (« Regard, la lettre » du 22 janvier 2022) : https://regard.ro/dumitru-chisalita/