Entretien réalisé le mercredi 20 janvier en milieu de journée, par téléphone et en roumain.
La question énergétique occupe le devant de la scène en Roumanie, comme dans le reste de l’Europe. Dumitru Chisăliță, professeur universitaire et président de l’Association énergie intelligente (Asociația Energia Inteligentă), se penche sur la spécificité roumaine…
Comment décririez-vous la situation énergétique en Roumanie ?
Elle est avant tout paradoxale. À de nombreux égards, la Roumanie bénéficie d’un contexte avantageux par rapport à d’autres pays, notamment ceux qui nous entourent. Pourtant, nous sommes face à une situation bien plus chaotique que dans les pays en question. Malgré nos ressources abondantes, nous ne parvenons pas à les faire fructifier et à pleinement exploiter notre potentiel. Faute d’une gestion et de politiques adaptées. La Roumanie n’est pas la Russie ou le Moyen-Orient, certes, mais nous sommes loin de faire partie des pays pauvres concernant nos ressources. Par exemple, notre production de gaz naturel se classe à la deuxième place en Europe. Néanmoins, cela ne porte pas ses fruits en termes économique et social ; la preuve avec la crise énergétique actuelle et la forte dépendance à l’égard du gaz russe. Aujourd’hui, le tarif payé par le consommateur roumain est très élevé, et nous importons de Russie plus de 20% du gaz que nous consommons. La moyenne annuelle pour 2021 sera comprise entre 23 et 25%, avec des pics jusqu’à 40% de la consommation quotidienne. Autre paradoxe : ce gaz est surtout consommé dans l’ouest du pays, près de la Hongrie. Nous importons, par l’ouest du pays, du gaz venant de l’est…
En quelle mesure est-ce un gros handicap ?
Au-delà de l’aspect financier, c’est un problème en matière de sécurité énergétique, car le marché est extrêmement volatile avec des prix très élevés. Nous ne sommes pas du tout prémunis face au risque énergétique. En général, les pays européens possèdent un équilibre en matière d’énergie afin d’être le moins vulnérable possible et d’amortir les situations extrêmes lorsque survient une forte vague de froid ou un accident. Cela afin d’éviter d’avoir recours à des sources moins sûres, très volatiles et très chères. Jusqu’à il y a environ dix ans, la Roumanie fonctionnait aussi de la sorte en se basant sur sa production propre, sur des capacités de stockage adaptées à ses besoins, et sur des accords commerciaux à long terme. Or, nos lacunes actuelles vont de nouveau être mises en évidence en février et mars, comme chaque année, lorsque les températures seront particulièrement basses et que le pays devra importer du gaz en catastrophe et au même moment que tout le monde. Priorité sera alors donnée à ceux qui ont des contrats à long terme, ce qui n’est pas notre cas.
Comment expliquer que le pays ne parvienne pas à se diversifier pour échapper à cette dépendance ?
Pour cela, il faudrait déjà l’envisager… C’est la même histoire qui perdure depuis cinq, six ans ; nos dirigeants fanfaronnent en disant que nous pourrions devenir un important exportateur en Europe de l’est, mais cela reste une illusion. Nos politiques énergétiques ont oscillé entre désastreuses et inexistantes. En attestent nos changements stratégiques ; un coup nous soutenons l’énergie éolienne, puis nous arrêtons subitement au bout de quelques années, ensuite le gaz, puis le nucléaire… De tels changements radicaux, si nombreux, sont incohérents et contre-productifs. Les stratégies énergétiques ont besoin de temps pour réussir, d’au moins dix ans. Mais tout cela relève de la politique et des hommes en place ; tant qu’ils privilégieront le populisme et non l’effort et le travail, nous ne nous en sortirons pas.
Propos recueillis par Benjamin Ribout.