La Bulgarie traverse une période de grande incertitude politique. Explications avec Daniel Smilov, professeur de sciences politiques à l’université de Sofia…
Suites aux élections parlementaires du 4 avril dernier, Boïko Borissov, qui détient le record de longévité en tant Premier ministre bulgare, a annoncé qu’il ne briguerait pas de nouveau mandat, tout en essayant de former une coalition majoritaire dirigée par son parti GERB (Citoyens pour le développement européen de la Bulgarie, ndlr). Quelles sont les chances d’un gouvernement stable à court terme, et qui pourrait le diriger ?
Borissov n’a pratiquement aucune chance de former une coalition avec la participation du GERB. Tous les autres partis ont déclaré qu’ils n’allaient pas appuyer le gouvernement qu’il a déjà proposé. Quoi qu’il en soit, le GERB tentera quand même de former un gouvernement en proposant un autre Premier ministre en la personne de Daniel Mitov, ancien ministre des Affaires étrangères. Cette tentative échouera certainement. Ensuite, il y a le deuxième plus grand groupe parlementaire mené par Slavi Trifonov et son parti « Un tel peuple » (TSP, ndlr).* La plupart des partis se sont déclarés prêts à soutenir un tel cabinet, mais sous certaines conditions. Maintenant, la question est de savoir s’ils s’entendront sur la nomination du chef du gouvernement et sur un ensemble de politiques à court terme, probablement jusqu’à la fin de l’année. S’ils se mettent d’accord, je pense que le prochain gouvernement sera plutôt formé de technocrates. Mais personne ne s’attend à ce qu’il dure quatre ans. Et s’il n’y a pas d’accord, la Bulgarie se dirigera vers de nouvelles élections législatives en juillet et un gouvernement intérimaire sous l’autorité du président de la République Roumen Radev.
* Chanteur et vedette de télévision. Lire notre précédent article sur le sujet : https://regard.ro/anna-krasteva/
Le nouveau parti « Un tel peuple » de Slavi Trifonov est arrivé second avec plus de 17% des suffrages. En Roumanie, il est souvent comparé au parti extrémiste AUR. Quel genre de politiques soutient-il ? Est-ce un parti pro-européen ou un parti d’extrême droite ?
Le TSP est un parti pro-européen et envisage de former un gouvernement avec la Bulgarie démocratique, qui est une coalition libérale et pro-européenne. Mais d’un autre côté, Trifonov peut effectivement être vu comme étant un populiste parce qu’il insiste sur l’utilisation généralisée de la démocratie directe, et souhaite que les partis ne reçoivent plus de subventions de l’État. Il est anti-corruption et anti-système tout court. Le problème est que personne ne sait vraiment quelles sont ses autres politiques. Cela rend la situation dans son ensemble hautement imprévisible. D’autant que le TSP n’est pas très bavard, ses membres ne discutent pas publiquement de leurs stratégies, et ils ne sortent que de brèves déclarations répétant qu’ils resteront fidèles à leurs promesses électorales.
L’année dernière, la corruption a été dénoncée dans les rues lors de nombreuses manifestations. Quelles sont les chances que le nouveau gouvernement soit moins corrompu et que la Bulgarie puisse réellement bénéficier du programme européen de résilience et de développement ?
Il y a une fenêtre d’opportunité. Le GERB et ses alliés potentiels n’auront plus la majorité au sein du parlement et seront dans l’opposition. Cela signifie que les pratiques de capture de l’État de ces dix dernières années pourraient être abandonnées. La nouvelle majorité devrait nommer des personnes indépendantes au sein des structures régulatrices, et notamment réformer le Parquet et le système judiciaire, tâches loin d’être aisées. Il reste à voir si elle y parviendra.
Propos recueillis par Carmen Constantin.