Anna Krasteva est professeure de sciences politiques à la New Bulgarian University de Sofia et docteure honoris causa de l’université Lille 3. Tour d’horizon du paysage politique en Bulgarie, une semaine avant les élections législatives…
Quels sont les principaux enjeux de ces prochaines élections ?
Ce qui ressort est le fort désir de changement contre le statu quo et la corruption incarnés par le Premier ministre Boïko Borissov et son parti GERB (Citoyens pour le développement européen de la Bulgarie, ndlr), au pouvoir depuis plus d’une décennie. Cette tendance est représentée par trois nouveaux acteurs : d’abord, le parti « Un tel peuple », fondé en 2019 par Slavi Trifonov, chanteur et vedette de télévision. Malheureusement, il joue sur le symbole vide qui crée beaucoup d’espoir mais n’est pas suivi par un programme et des engagements concrets. L’autre nouveau parti est « Lève-toi.BG », fondé par l’ancienne Avocate du Peuple Maya Manolova et quelques leaders autoproclamés des manifestations de l’année dernière. Enfin, il y a la coalition « Bulgarie Démocratique » qui rassemble autant des partis de droite pro-européens que les Verts, orientés à gauche. Ce sont eux qui ont initié les mobilisations de 2020. On observe donc une grande fragmentation de la scène politique, il y a beaucoup d’acteurs du changement mais pas d’alternative suffisamment forte pour battre le GERB, toujours premier dans les sondages.
Qu’est-il ressorti des manifestations de l’été dernier ?
L’énergie citoyenne, qui s’est exprimée en 2020 avec des messages très forts, se manifeste aujourd’hui par cette diversification des acteurs politiques portant le message du changement. Le second effet est la mobilisation des Bulgares résidant à l’étranger, très visible également l’été dernier. Il a d’ailleurs fallu tripler le nombre de bureaux de vote dans certains pays en prévision des prochaines élections. Enfin, ces manifestations ont montré une jeunesse plus active, qui exige des réponses et des engagements concrets. On l’observe par la multiplication des forums de jeunes, où ils invitent des personnalités politiques à débattre. Ce sont les seuls à générer cet élan de prise de responsabilité des politiques.
Récemment de hauts fonctionnaires ont été accusés d’espionnage pour la Russie. Comment qualifieriez-vous l’influence russe dans le pays ?
Le fait que ces accusations aient été lancées juste avant les élections n’est pas un hasard ; le gouvernement connaissait ces opérations d’espionnage, mais il a attendu la campagne pour les révéler. S’en prendre à la Russie veut dire s’attaquer à tous les acteurs politiques proches de Moscou, et cela profite au parti GERB de Borissov. Ces acteurs politiques sont principalement les partis nationalistes, mais aussi le président de la République Roumen Radev qui, bien qu’étant un général issu des rangs de l’OTAN, est assez proche de la Russie, tout comme le Parti socialiste bulgare. D’un autre côté, le Premier ministre Borissov n’a jamais eu de stratégie forte en termes de politique étrangère. Il essaie de bien s’entendre à la fois avec Poutine, Erdogan et Bruxelles. Les projets énergétiques en Bulgarie sont d’ailleurs sous l’emprise des Russes. Et ces accusations d’espionnage ne vont pas vraiment porter préjudice à cette influence. Au final, le parti GERB est surtout à l’affût de n’importe quel avantage électoral.
Propos recueillis par Marine Leduc.