Lecteur de sciences politiques à l’université Babeș-Bolyai de Cluj, Bogdan Radu analyse le rôle joué par l’Église orthodoxe dans la société roumaine en ces temps de pandémie…
Quelle place occupe l’Église orthodoxe en Roumanie ? Et quelle est son action face à la crise sanitaire ?
L’Église jouit ici d’une solide cote de confiance, avec près de 70% d’opinions favorables, selon le dernier sondage de la World Values Survey, un pourcentage très élevé par rapport à d’autres anciens pays communistes (Bulgarie – 35%, Pologne – 55%, Croatie – 36%, ndlr). Près de 80% des répondants se disent religieux, et environ 50% considèrent qu’il est important qu’un enfant soit croyant (contre 18% en Bulgarie et 9% en France, ndlr). Par ailleurs, l’Église roumaine s’est beaucoup investie, aux côtés de l’État et des ONG, dans la lutte contre les effets de la pandémie en lançant des collectes de fonds et des programmes d’aide aux plus vulnérables. Dans le même temps, le fait qu’à plusieurs reprises elle se soit opposée aux mesures destinées à endiguer la pandémie a divisé la population ; les défenseurs de l’Église accusent l’État d’entrave à la liberté religieuse, tandis que les laïcs la blâment pour inciter la population à ne pas respecter les restrictions.
L’implication de l’Église dans le débat autour de la crise sanitaire et de la vaccination a-t-elle été bénéfique ?
Dans une société telle que la nôtre, où l’Église joue un rôle central, il est normal que cette dernière s’implique dans tout ce qui a trait aux changements provoqués par la pandémie. De fait, l’action des cultes dans la campagne de vaccination peut accroître l’intérêt de la population pour se faire immuniser, surtout dans les zones rurales isolées où le prêtre est toujours le principal formateur d’opinions. Toutefois, l’Église orthodoxe est restée plutôt prudente en soulignant, par la voix de son porte-parole Vasile Bănescu, que « seuls les experts ont l’autorité morale et professionnelle de recommander un vaccin », mettant de côté sa propre autorité morale, qui est pourtant l’une des principales fonctions du Patriarcat au sein de la société. En revanche, le Vatican a privilégié une approche sans équivoque à l’égard de l’importance de la vaccination, vue comme un choix éthique.* En ce qui concerne les restrictions liées à la pandémie, l’attitude de l’Église orthodoxe roumaine a été ambivalente, allant des recommandations à respecter les gestes barrière à un certain laisser-faire promu par une partie du clergé, comme la communion avec une même cuillère ou l’organisation de processions religieuses.
La ferveur religieuse a-t-elle augmenté à cause de la crise ?
Il est trop tôt pour le dire, mais ce qui m’inquiète est que parfois la foi et le rituel religieux sont instrumentalisés pour promouvoir des théories du complot, ou créer une fausse opposition entre la recherche scientifique et la croyance. Près de 40% des Roumains pensent qu’en cas de conflit entre la science et la religion, c’est cette dernière qui aura toujours raison. Plus les gens sont confrontés à des situations où les deux sont mises en confrontation, plus la société sera divisée. La religion peut être soit un lien qui aide les gens à surmonter des moments critiques, soit un facteur clivant. Il appartient à l’Église de trouver les moyens qui aboutissent à l’union et d’éviter les divisions.
Propos recueillis par Mihaela Rodina.