Entretien réalisé le vendredi 15 novembre dans la matinée, par téléphone et en roumain.
Dans ce nouvel échange, l’expert militaire Dan Claudiu Degeratu analyse un projet de loi mis en débat par le ministère de la Défense* autorisant l’armée à abattre des drones russes qui violeraient l’espace aérien roumain…
Que prévoit ce projet et quand pourrait-il être adopté par le Parlement ?
Le texte mentionne des mesures précises qui pourront être prises contre les drones entrant de manière non autorisée dans l’espace aérien roumain, des mesures similaires à celles concernant déjà les avions avec pilote. Il s’applique à tous les types de drones, des plus petits à ceux ayant une visée militaire, et prévoit deux cas de figure : si la Roumanie est la seule concernée par un incident, ou bien si d’autres pays le sont également. La situation devra alors être gérée de manière coordonnée. Cette coordination du système de défense intégrée de l’espace allié existe déjà, mais uniquement pour la police aérienne. Le projet prévoit d’officialiser un partage des rôles plus large entre les autorités nationales et les systèmes de défense alliés. Il précise en outre les tâches incombant aux différentes institutions nationales de défense, à l’ordre public et à la sécurité nationale, le rôle de coordinateur revenant au ministère de la Défense. Une autre spécificité réside en l’introduction de critères pour la protection des civils, car le risque que des drones tombent dans des zones habitées est plus grand que dans le cas d’avions avec pilote. Toutefois, à mon avis, le projet devrait définir plus clairement le concept de violation de l’espace aérien. Jusqu’ici, les autorités roumaines avaient tendance à minimiser de tels incidents, assurant que des mesures devaient être prises uniquement si le drone menaçait des infrastructures importantes, une localité ou un objectif d’intérêt stratégique. Quoi qu’il en soit, vu la campagne électorale en cours, je ne pense pas que ce texte puisse être adopté avant janvier 2025.
* https://sg.mapn.ro/proiecte/proiect_de_act_normativ_671f752a6153c.pdf
La Roumanie a-t-elle discuté avec l’Otan avant de le rédiger ?
Il y a certainement eu une forme de consultation. Je ne sais pas s’il existe une procédure standard à cet égard, puisqu’il s’agit de la législation nationale, mais j’espère que le ministère a intégré dans ce projet les leçons apprises ces deux, trois dernières années en termes de coordination avec l’Alliance Nord-Atlantique. D’autre part, le nouveau secrétaire général de l’Otan, Mark Rutte, a clairement dit lors de sa première visite à Kyiv qu’il appartenait aux nations de décider de la manière dont ces drones doivent être gérés, contredisant implicitement la position de Bucarest qui a, jusqu’à présent, toujours affirmé qu’on ne pouvait pas les abattre sans se coordonner avec les autres pays alliés. Or, ce projet de loi autorise les autorités nationales à prendre elles-mêmes les décisions qui s’imposent. De toute façon, je ne vois pas de réel débat au sein de l’Otan sur cette question, sans doute par souci d’éviter une escalade.
La destruction de drones violant l’espace aérien roumain ne pourrait-elle pas être interprétée par la Russie comme une implication directe de la Roumanie, voire de l’Otan, dans la guerre en Ukraine ?
Cela fait presque trois ans que le président russe Vladimir Poutine affirme que les forces de l’Otan sont impliquées dans la guerre, qu’elles se battent en Ukraine, cela ne changerait donc pas grand-chose à la position du Kremlin. Dans ce contexte de propagande anti-Otan, que nous abattions ou non les drones russes n’a pas trop d’importance ; si la Russie veut nous attaquer, elle le fera. Par ailleurs, Moscou va sans doute multiplier ce type de provocations. Elle le faisait déjà avec des avions, envoyés très près de la frontière de l’espace aérien de l’Otan, sans toutefois la franchir. Avec les drones, elle peut toujours dire que l’entrée dans l’espace allié a été due à une erreur, que le drone n’était plus contrôlable, etc. Mais nous pouvons nous aussi dire que le drone est entré dans notre espace aérien, et que nous l’avons l’abattu parce qu’il représentait un danger. À mon sens, il faut renoncer à cette prudence excessive qui nous a caractérisés jusqu’à présent.
Propos recueillis par Mihaela Rodina (15/11/24).
Note :
Lien vers notre précédent entretien avec Dan Claudiu Degeratu sur les systèmes de défense aérienne Patriot (« Regard, la lettre » du samedi 1er juin 2024) : https://regard.ro/dan-claudiu-degeratu-2/