Entretien réalisé le lundi 23 septembre dans l’après-midi, par téléphone et en roumain.
Le 15 juillet dernier, le parlement roumain a voté pour la réintroduction de la chasse à l’ours. Éclairage avec Cristian-Remus Papp, spécialiste des grands carnivores et coordonnateur du département des espèces sauvages et des aires protégées au Fonds mondial pour la nature (WWF)…
Quels changements ont été opérés cet été concernant la chasse aux ours ?
Le parlement a voté pour la réintroduction de la chasse aux plantigrades qui était interdite depuis 2016. C’est intervenu suite à un événement tragique… Une randonneuse de 19 ans a été attaquée par un ours qui se trouvait sur son tracé. Elle est malheureusement décédée après avoir chuté dans un ravin. Désormais, les chasseurs roumains et étrangers pourront chasser jusqu’à 426 spécimens par an pendant deux années consécutives. À cela s’ajoute un quota supplémentaire dit « d’intervention » de 55 ours dans le cas d’animaux dangereux ou potentiellement problématiques dont se chargera un personnel spécialisé. Ce quota « d’intervention » existait déjà ces dernières années, il était de 220 en 2023, mais il n’a jamais été atteint. Sans oublier la chasse aux trophées qui attire notamment des étrangers et rapporte beaucoup d’argent aux associations de chasse et au fonds cynégétique national*. Certes, d’un certain côté, cela peut aider à gérer les espèces sauvages. Toutefois, en tant qu’association environnementale, nous ne considérons pas la chasse comme étant la seule solution, et cela ne réglera pas les problèmes sur le long terme.
* Le trophée d’un ours peut aller jusqu’à 10 000 euros, payé par le chasseur. Cet argent revient en partie à l’agence qui organise la chasse, à l’État et aux associations de chasse (ndlr).
Quelles autres mesures devraient être prises pour que nous cohabitions mieux avec les ours ?
Tout d’abord, je souhaiterais préciser que WWF n’est pas contre l’intervention létale de spécimens dangereux. C’est pourquoi il faudrait plutôt inverser les modalités, avec un quota « d’intervention » plus important que le quota de chasse. Et prendre exemple sur d’autres pays européens comme la Croatie et la Slovaquie où la densité d’ours est similaire à la Roumanie, mais où la cohabitation est mieux gérée. Par exemple, en Croatie, ils font attention à retirer autant de mâles que de femelles afin de contrôler la reproduction. Et puis les autorités roumaines devraient agir davantage… La multiplication des conflits n’est pas tant causée par une surpopulation d’ours qu’une multiplication des points de nourriture d’origine humaine, que ce soit les déchets, les aliments donnés par les touristes, ou même les points de nourriture placés par les chasseurs, parfois près des localités. Cela change le comportement de l’animal ; il s’habitue à l’humain et peut alors devenir dangereux. Il faudrait donc davantage éduquer sur le sujet. Des amendes ont été mises en place contre les touristes qui nourrissent les animaux, mais la loi n’est pas toujours appliquée*.
* L’amende est comprise entre 500 et 1500 lei (ndlr).
À partir de 2021, vous avez lancé un projet à Băile Tușnad, zone touristique située en Transylvanie pour gérer la cohabitation entre les locaux et les ours. Pouvez-vous nous en parler ?
Effectivement, nous avons mis en œuvre plusieurs actions en collaboration avec la mairie, les habitants, les autorités étatiques et le fonds cynégétique. L’idée est de réduire au maximum tout ce qui peut attirer les plantigrades ; nous avons installé des containers anti-ours, limité les arbres fructifères dans les zones publiques, et mieux entretenu les espaces verts qui pouvaient être utilisés comme cachettes. Par ailleurs, presque chaque habitation dispose d’un fil électrique protégeant la propriété. La mesure est un peu extrême, mais les locaux se sont rendu compte que c’était bénéfique et que cela leur offrait plus de sécurité. Un système de surveillance et d’alerte a aussi été installé, une sorte de clôture virtuelle ; si elle est traversée, une équipe d’intervention est appelée et se rend immédiatement sur les lieux grâce aux coordonnées GPS. Les résultats sont visibles et les chiffres le montrent ; en 2021, il y a eu 40 cas de dommages causés par des ours, aucun en 2023. Mais le projet a un coût : 30 000 euros par an, financé jusqu’à présent par WWF Belgique.
Propos recueillis par Marine Leduc (23/09/24).
Note :
Notre premier entretien avec Cristian-Remus Papp sur la biodiversité en Roumanie (« Regard, la lettre » du samedi 4 février 2023) : https://regard.ro/cristian-remus-papp/
Et un précédent échange sur les ours en Roumanie avec Gabriel Păun, président de l’ONG Agent Green (« Regard, la lettre » du samedi 15 mai 2021) : https://regard.ro/gabriel-paun/