L’histoire de l’ours Arthur récemment tué dans une zone protégée par un prince autrichien a divisé la société roumaine en deux camps : les défenseurs des animaux sauvages, et ceux qui se sentent menacés par l’augmentation du nombre d’ours. Éclairage avec Gabriel Păun, président de l’ONG Agent Green…
Sait-on combien il y a d’ours actuellement en Roumanie ?
Personne ne le sait, car il n’y a jamais eu de recensement fondé sur des méthodes scientifiques qui incluraient la collecte d’échantillons d’ADN. L’État roumain n’a jamais réussi une telle chose, nous ne pouvons donc pas dire qu’il y en a trop, comme le prétendent les associations de chasseurs, qui ont tout intérêt à ce que ce soit le cas. La cohabitation parfois difficile avec les ours est une conséquence des menaces auxquelles cette espèce est confrontée, je parle ici de la dégradation accentuée de son habitat ; seulement 1% de la superficie de la Roumanie est une zone strictement protégée. Les 99% restants sont perturbés en permanence. Le changement climatique a créé le chaos pour les ours, mais leur persécution par l’homme est aussi un souci majeur.
Comment résoudre le problème des animaux qui se rapprochent de plus en plus des habitations ?
Tout d’abord, il faudrait arrêter la chasse au trophée. Dans le cas des ours, pour qu’une population perdure et soit bien structurée en termes de sexe, d’âge, et qu’il y ait suffisamment de spécimens génétiquement propres, la chasse aux gros mâles doit cesser car elle conduit notamment à de la consanguinité. Étant donné que les petits sont moins chassés par de gros mâles, qui disparaissent, ils restent davantage avec leur mère pendant de nombreuses années et se reproduisent avec elle. Cela conduit à l’apparition de spécimens moins viables génétiquement. Autre solution, l’installation de clôtures électriques qui peuvent protéger les ruches, les habitations, les vergers d’arbres fruitiers, les poulaillers, les étables avec des animaux, tout ce qui peut attirer un ours. Et s’il y a encore des conflits, ils ne doivent pas être gérés par des chasseurs mais par des vétérinaires formés pour calmer voire euthanasier l’animal, ce qui doit rester le dernier recours. Il y a aussi la possibilité de déplacer l’ours, c’est-à-dire que l’animal tranquillisé soit ramené dans les profondeurs de la forêt. À long terme, nous devons redonner aux ours l’habitat qu’ils ont perdu. Cela signifie une restauration écologique dans les zones où la nature n’a plus la capacité de se régénérer toute seule.
Quels sont les points les plus urgents à résoudre pour que la Roumanie puisse préserver son environnement naturel ?
La première chose serait de ne plus toucher à environ 10% du territoire national, comme le spécifie la stratégie européenne sur la biodiversité, et ce d’ici 2030. Il s’agira d’une zone de protection stricte. Dès aujourd’hui, il faudrait interdire les tronçonneuses dans les parcs nationaux, qui représentent 1,3% du territoire, et dans les forêts primaires et séculaires qui ne sont pas incluses dans ces parcs nationaux, soit encore 2,2% de notre superficie. La population d’ours pourra alors disposer de nouveaux habitats. Actuellement, elle s’est réfugiée dans les montagnes, mais ce n’est pas son environnement naturel. L’ours se sent à l’aise dans des zones plus ouvertes, avec de hautes herbes, dans les prairies, avec de l’eau, il a besoin d’un habitat complexe. De plus, déplacé dans les montagnes, il est obligé d’être davantage actif pendant la nuit, ce qui est contraire à son horloge biologique. Par ailleurs, on peut trouver sympathique de nourrir les animaux de la forêt, mais c’est un piège, cela favorise notamment l’organisation de parties de chasse à certaines heures. Cette pratique fait aussi que les animaux perdent l’habitude de trouver de la nourriture par eux-mêmes. Quand ils ont faim, les ours descendent alors vers les localités, là où il y a des aliments auxquels ils se sont familiarisés. Un ours nourri, un ours habitué à l’homme, peut devenir un ours dangereux. Une autre solution serait l’éco-tourisme ; un ours ne peut être tué qu’une seule fois, mais il peut être photographié des milliers de fois. Un tourisme guidé et responsable peut rapporter beaucoup plus d’argent à ceux qui gèrent les forêts que la chasse. Ne laissons plus les chasseurs gérer la population des loups et des ours. Et effectuons ce recensement afin de savoir enfin combien d’ours se cachent dans les forêts, malgré eux.
Propos recueillis par Carmen Constantin.
Sur l’ours abattu : https://www.geo.fr/environnement/un-prince-du-liechtenstein-accuse-davoir-abattu-le-plus-grand-ours-de-roumanie-204706