Entretien réalisé le mardi 13 septembre dans l’après-midi, par téléphone et en roumain.
Cristian Pîrvulescu, doyen de la Faculté de sciences politiques de l’École nationale d’études politiques et d’administration (SNSPA), analyse la scène politique roumaine dans un contexte international tendu…
Comment jugez-vous la coalition au pouvoir ?
En premier lieu, on peut lui reconnaître qu’elle a assuré une certaine stabilité dans une période de risques élevés. Si vous observez ce qui se passe dans les pays de la région, vous verrez par exemple que la Bulgarie est toujours dans une situation politique extrêmement compliquée. On comprend alors mieux pourquoi, face aux risques géostratégiques actuels, le président Iohannis a pris l’option de créer une coalition supra-majoritaire, avec l’UDMR – parti de la minorité hongroise, ndlr – une nouvelle fois au gouvernement. À mon sens, les chances pour que cette coalition se maintienne au pouvoir sont corrélées à la situation en Ukraine. Tant que la guerre continuera, tant que les risques géopolitiques resteront élevés, le pouvoir en place, qui est une coalition de crise géostratégique, perdurera. Si la guerre se termine rapidement, soit bien avant les élections de 2024, il est fort probable que la coalition ne fonctionnera plus pour des raisons électorales. On peut imaginer que le PSD – Parti social-démocrate, ndlr – se retire du gouvernement afin de maximiser ses chances aux élections. Bien que celles-ci resteront influencées par le contexte international. Par exemple, si Marcel Ciolacu – actuel président du PSD et de la Chambre des députés, ndlr – souhaite se présenter à l’élection présidentielle de 2024, il sera bien plus intéressant pour lui de le faire depuis l’opposition. Avec la possibilité d’affronter George Simion – président du parti extrémiste AUR, ndlr – au second tour. Cela lui garantirait un succès presque certain.
Que se passe-t-il avec USR – Union Sauvez la Roumanie, formation de centre-droit dans l’opposition, ndlr – ?
USR cherche à trouver un moyen de s’imposer. C’est un parti aux origines diverses, qui a été très difficile à construire. Les groupes de la société civile et les milieux d’affaires qui ont contribué à l’émergence d’USR en 2016 n’avaient pas grand-chose en commun. Mais ensemble, ils ont été favorisés par la nature des gouvernements successifs de Dragnea, Grindeanu, Tudose et Dăncilă. Après, peu à peu, la formation a commencé à moins peser sur l’échiquier politique, précisément parce que c’est un parti anti-système, et même s’il est démocrate. Je ne pense pas qu’USR soit en danger d’extinction, elle peut se relancer. Et conservera toujours un électorat urbain pro-européen, mécontent des autres partis, et qui ne basculera pas vers le PNL – Parti national libéral, ndlr –, et encore moins vers le PSD. À mon avis, les attentes d’USR étaient trop élevées ; les élections européennes de mai 2019, combinées au référendum pour la justice, ont créé l’illusion que le parti était plus fort qu’il ne l’est en réalité. Dans une large mesure, son évolution dépendra du contexte géopolitique et de la situation au sein de l’Union européenne, ainsi que des succès ou des échecs de la coalition gouvernementale. Schengen, levée ou pas du Mécanisme de coopération et de vérification… Tout comptera.
Quant au parti extrémiste AUR, d’après vous, quelle sera son évolution ?
La Roumanie n’est plus dans l’Entre-deux-guerres, et le mariage de George Simion en août dernier, calqué sur celui de Corneliu Zelea Codreanu – ancien leader du parti fasciste de la Garde de fer, ndlr –, n’a pas atteint ses objectifs en termes d’impact. Évidemment, la Roumanie a changé, et les gens ont bien compris que l’événement n’était qu’un exercice de relations publiques. Quoi qu’il en soit, je ne suis pas convaincu que ce type de notoriété se traduira automatiquement en votes. Tout dépendra, encore une fois, du contexte géopolitique qui, pour l’instant, n’est pas favorable à AUR. Les succès de la contre-offensive ukrainienne n’avantagent pas du tout cette formation, par exemple. D’un autre côté, on ne peut pas non plus nier le potentiel d’AUR. Il existe bien un électorat frustré, nationaliste, conspirateur, anti-restrictions et anti-Covid qui se retrouve dans le message anti-système populiste et néo-fasciste d’AUR. Et comme dans la tradition néo-légionnaire, à ce nationalisme s’ajoute une attitude déférente envers certains cultes religieux. Vis-à-vis de l’Orthodoxie, bien sûr, mais aussi vis-à-vis de certains cultes néo-protestants bien ancrés dans l’establishment américain et qui ont formé la Coalition pour la famille – regroupement de plus de 40 ONG roumaines promouvant les valeurs de la famille traditionnelle, ndlr. AUR est le résultat d’un laboratoire politique d’ultra conservateurs d’ici et d’ailleurs qui ont tenté de profiter d’un certain contexte : le Brexit, l’élection de Trump, etc. C’est un parti non seulement illibéral mais aussi anti-libéral, qui tente de montrer que le libéralisme est le pire des péchés. Malheureusement, cela séduit une certaine partie des gens. Et il ne s’agit pas de personnes manipulées ou manipulables, mais d’individus qui adhèrent volontairement à cette idéologie parce qu’elle correspond le mieux à leurs intérêts politiques. Je ne crois pas du tout à l’apolitisme des Roumains. Les Roumains s’intéressent à la politique, même lorsqu’ils ne votent pas.
Propos recueillis par Carmen Constantin.
À lire ou à relire, notre précédent entretien avec Cristian Pîrvulescu (« Regard, la lettre » du 25 septembre 2021) : https://regard.ro/cristian-pirvulescu/