Entretien réalisé le lundi 5 septembre dans l’après-midi, par téléphone et en roumain (depuis Constanţa).
Déjà décimés par la pêche et la pollution, les dauphins de la mer Noire auraient un nouvel ennemi : les sonars des navires de guerre utilisés par les forces combattantes dans la guerre en Ukraine. Marian Paiu, président de l’association Mare Nostrum qui étudie ce fléau, explique le phénomène…
Vous avez récemment constaté une mortalité en hausse chez les dauphins…
Effectivement, depuis le début de l’année, nous avons retrouvé sur la côte roumaine 191 dauphins morts. C’est le plus grand nombre enregistré par notre association depuis au moins douze ans. Le précédent record, soit 177, datait de 2012. Ce qui est frappant, c’est qu’à la mi-2022, nous avions déjà recensé 140 exemplaires décédés, c’est énorme. Au-delà de la pollution, de la pêche et des activités humaines de façon générale, il est fort possible que la guerre qui se déroule au nord de la mer Noire soit en partie responsable de ce grand nombre de décès. Bien qu’à ce jour, je n’ai trouvé aucune étude scientifique qui le prouve. Car afin de déterminer la cause du décès, il faut pratiquer une nécropsie dans les vingt-quatre heures. Mais cela n’a pas été possible dès lors que la quasi-totalité des carcasses étaient dans un état avancé de putréfaction. Un groupe de travail a d’ailleurs été mis en place au sein de l’ACCOBAMS (Accord sur la conservation des cétacés de la mer Noire, de la Méditerranée et de la zone Atlantique adjacente, ndlr), dont Mare Nostrum est membre, et nous attendons toujours de retrouver un ou plusieurs exemplaires dont la mort est récente afin de pouvoir prélever des échantillons, l’oreille interne notamment.
L’impact nuisible des sonars des sous-marins et des navires de guerre en mer Noire a été évoqué, qu’en est-il réellement ?
En effet, les dauphins s’orientent à l’aide d’ultra-sons et ont besoin de silence. Les bruits anthropiques perturbent leur communication, leur orientation ou encore leur quête de nourriture. Si le bruit des sous-marins ou des navires est très puissant et se produit à proximité, il peut détériorer leur système d’orientation et provoquer des lésions de l’oreille interne. Imaginez un humain se retrouvant sans yeux ni oreilles… Et même si le bruit est lointain, il peut chasser les dauphins d’une zone où ces derniers se nourrissent et élèvent leurs petits. Pour eux, c’est un facteur de stress.
Votre association a lancé une campagne baptisée « Adopte un dauphin » afin de recueillir des fonds pour mieux protéger ces mammifères. Fonctionne-t-elle ?
Malheureusement, la pandémie et la guerre ont beaucoup amputé le budget des Roumains, qui préfèrent aider les personnes en difficulté, ce qui est normal. Mais il ne faut pas oublier que nous avons tous besoin d’un environnement propre afin de bien vivre. Quant au ministère de l’Environnement, je constate que les dauphins arrivent en dernière position sur sa liste de priorités, alors qu’ils sont un indicateur clé du bien-être de l’écosystème marin.
Propos recueillis par Mihaela Rodina.
Lire aussi sur le site de France24 : « Guerre en Ukraine : le scientifique qui mesure l’hécatombe des dauphins en mer Noire. »