Entretien réalisé en anglais le vendredi 9 septembre dans l’après-midi au bureau de Mădălina Turza, Palais de la Victoire à Bucarest, siège du gouvernement roumain.
Mădălina Turza est conseillère d’État à la Chancellerie du Premier ministre. Elle coordonne le Plan national d’intégration des réfugiés ukrainiens à moyen et long terme, une première dans l’Union européenne…
En quoi consiste le Plan national d’intégration ?
Après l’urgence, nous sommes dans une nouvelle phase qui consiste à mettre en place une stratégie d’accueil pour les Ukrainiens sur une période plus longue, car la guerre risque de durer. On ne peut pas simplement inscrire les enfants à l’école. Que va-t-il se passer ensuite pour une classe de vingt élèves ukrainiens sans soutien ? Fin juillet, plusieurs mesures sont entrées en vigueur. Elles visent 60 000 Ukrainiens enregistrés sous le Mécanisme de protection civile européen* et sont réparties dans six domaines essentiels pour l’intégration : la santé, l’éducation, le travail, l’hébergement, les enfants et les personnes vulnérables.
* Selon les chiffres de la Police des frontières, il y a, à ce jour, plus de 2,3 millions d’Ukrainiens qui sont entrés sur le territoire roumain depuis le 10 février. Environ 100 000 sont restés en Roumanie, dont 40 000 enfants.
Pour vous, que signifie l’intégration des Ukrainiens à moyen et long terme ?
L’objectif est que ces personnes deviennent autonomes et puissent avoir une vie digne dans notre pays. Qu’elles n’aient plus besoin de se baser sur l’assistance de l’État ou des ONG, parce que ce n’est pas soutenable sur le long terme. C’est aussi important pour eux, pour leur santé mentale, de ne plus être dans une forme d’attente. Par ailleurs, ce processus n’est pas une décision fondamentale et irréversible. Il est toujours possible de repartir, dans quelques mois, un an ou plusieurs années. Mais pourquoi ne pas repartir avec des ressources, une nouvelle expérience de travail et une nouvelle langue. Ceci étant, notre objectif premier est de fournir à ces personnes des outils à travers lesquels elles pourront devenir indépendantes et naviguer dans notre système. Cela implique, par exemple, de disposer d’un matériel pédagogique adapté pour l’enseignement du roumain. Mais aussi de recruter des personnes qui parlent ukrainien ou russe dans les écoles, dans les hôpitaux, etc.
La Roumanie a initié une plate-forme de dialogue avec d’autres États européens sur le sujet de l’accueil sur le long terme. Qu’en ressort-il ?
Nous avons effectivement organisé un forum les 8 et 9 septembre où étaient présents 23 autres États membres ainsi que des délégations du Royaume-Uni, de Norvège et de Moldavie. L’idée était d’avoir une conversation honnête et ouverte, car même si nous sommes les premiers à avoir initié un tel plan d’intégration, il s’agit d’un véritable défi pour un pays comme le nôtre qui a toujours connu plus d’émigration que d’immigration. On a présenté nos réussites, mais aussi nos limites. Et ça a montré qu’il y avait des préoccupations communes, que ce soit vis-à-vis de la question du logement ou de la barrière de la langue. Un autre défi important, dont on parle moins mais qui est peut-être le plus important, concerne la désinformation. Elle se situe à la racine de la cohésion sociale ; si l’on diffuse des messages de propagande et de haine envers les réfugiés, surtout au sein d’une société déjà inquiète pour son avenir, cela risque de provoquer des tensions. Il faut aussi faire attention quand on s’engage à aider un enfant ukrainien autiste alors que cette aide n’existe pas pour des autistes roumains. La cohésion sociale est nécessaire. On doit donc travailler ensemble sur les mêmes messages et être sur la même longueur d’ondes. Selon moi, c’est aussi une occasion à saisir pour la Roumanie et d’autres pays afin d’aller de l’avant et d’améliorer la prise en charge pour tous.
Propos recueillis par Marine Leduc.