Entretien réalisé le jeudi 26 mai en milieu d’après-midi, par téléphone et en roumain.
Andrei Breahnă a créé en 2014 la galerie Gaep, située au numéro 50 de la rue Plantelor à Bucarest. Il évoque la mue du marché roumain de l’art contemporain…
Depuis le lancement de votre galerie, quel a été le développement du marché de l’art contemporain en Roumanie ?
On peut parler de boom… Les galeries étaient moins nombreuses il y a huit ans. Mais au-delà de leur nombre, c’est la variété des projets qui saute aux yeux. D’un côté, les artistes utilisent de plus en plus de supports divers et variés, la photographie numérique, la vidéo, des installations novatrices techniquement et, de l’autre, l’écosystème roumain s’est étoffé. Nous nous sommes nous-mêmes de plus en plus tournés vers les artistes locaux, alors qu’à la base, nous étions davantage focalisés sur l’organisation d’expositions pour des artistes étrangers, ainsi que voyager avec eux à la rencontre des marchés internationaux. Je dirais que la pandémie a contribué à ce virage ; les artistes roumains se sont bien vendus ces deux dernières années. Cela nous a fait comprendre que les choses étaient véritablement en train de bouger.
Comment l’expliquez-vous ?
Cela s’explique en partie par le fait qu’en étant bloqués chez eux, les gens ont pris davantage l’habitude d’acheter de l’art. Et puis il y a le changement de générations, les nouveaux acheteurs sont plus sensibles à l’art contemporain. Le dynamisme de nos galeries à Bucarest, plus nombreuses que dans d’autres villes de pays de la région, en atteste ; l’art contemporain se vend bien. L’appétence du public se développe aussi par une présence accrue dans l’espace public et, de fait, les artistes roumains sont de plus en plus connus. On continue aussi d’essayer de rendre visibles certains artistes étrangers. Cette croissance est bien palpable, nous arrivons à convaincre des gens d’acheter des œuvres d’artistes qu’ils ne connaissaient pas un mois auparavant. Et puis l’art sort aussi des galeries. Nous proposons désormais aux entreprises des activités en lien avec la problématique du lieu de travail. Le but est d’y amener des œuvres pour en changer l’atmosphère et encourager des activités en lien avec ce contenu. Le potentiel est là aussi très important, cela contribue à former de nouveaux publics.
Quel rôle jouent les pouvoirs publics dans tout ça ?
Les budgets sont relativement faibles. Les concours sont également très compétitifs, ce qui est restrictif. Il faudrait que les institutions financent des projets via des partenariats divers, car l’État seul ne peut pas être un producteur artistique crédible. Notre Musée national d’art contemporain est sous-financé, cela se voit clairement dans la qualité du contenu. Et il n’y a pas, par exemple, de stratégie pour les arts visuels. Il n’y a pas non plus de mécanisme de défiscalisation pour les acquéreurs, malheureusement. Par contre, la loi sur le sponsoring permet aux sociétés privées d’allouer 20% de l’impôt sur le profit vers des causes sociales ou culturelles. C’est vital, car l’art contemporain coûte en termes de création. Nous avons aussi lancé un programme dédié aux jeunes artistes, une sorte d’incubateur au sein duquel dix participants sont encadrés par des mentors de plusieurs pays. L’idée est de se donner le temps de l’expérimentation sans perdre de vue la question des débouchés. Mais pour cela, il faut un budget conséquent, en l’occurrence 220 000 euros. Cela devrait constituer une vraie plate-forme de lancement pour ces jeunes artistes. Et c’est essentiel, car l’enseignement roumain reste très académique.
Propos recueillis par Benjamin Ribout.
À lire ou à relire, notre entretien avec Călin Dan, directeur général du Musée national d’art contemporain (« Regard, la lettre », du 13 mars 2021) : https://regard.ro/calin-dan/