Entretien réalisé le mercredi 1er juin en fin de matinée, par visioconférence et en français.
Discussion avec Sébastien Record, consultant français en agrobusiness, également co-fondateur de l’association « aider » qui promeut l’agriculture durable. Il fait ici le point sur le secteur agricole en Roumanie…
Dans les grandes lignes, quels sont les principaux problèmes de l’agriculture en Roumanie ?
Je dirais d’abord qu’il s’agit d’un secteur important pour le pays, il représente environ 23% de la population active, même s’il ne compte que pour 4 à 7% du PIB (Produit intérieur brut, ndlr), suivant les années. Dans les grandes lignes, il y a en premier lieu un manque de cadastre, un problème qui est apparu suite à la restitution des terres après la chute du régime communiste en 1989. Les titres de propriété sont notamment difficiles à déterminer, ce qui rend la situation des agriculteurs très instable. Autre souci, le manque d’eau, la Roumanie souffrant d’étés chauds et peu pluvieux. D’autant que jusqu’à présent, l’approche des autorités a été de construire des infrastructures d’irrigation plutôt lourdes, alors qu’il existe des infrastructures plus petites et plus efficaces, comme des petits barrages de rétention d’eau dans les zones collinaires. Sur le même sujet, le sud du pays commence à souffrir d’une vraie désertification. Ceci étant, il y a des solutions agronomiques, on le voit par exemple dans le Sahara où une ceinture verte est en train d’être mise en place. Après, il y a des déficiences d’ordre structurel. La production agricole pourrait notamment être davantage transformée sur le sol roumain afin d’y apporter plus de valeur ajoutée.* Enfin, je dirais qu’il y a des lacunes en termes de formation sur les derniers progrès agronomiques ; les agriculteurs roumains pourraient faire beaucoup mieux s’ils avaient davantage de savoir-faire technique.
* Propos corroborés par l’expert en agro-industrie Petre Alexu (« Regard, la lettre » du 10 avril 2021) : https://regard.ro/petru-alexe/
L’agriculture de subsistance, qui caractérise une grande partie des parcelles en Roumanie, est souvent décriée. Est-ce véritablement une mauvaise chose ? Et en quoi ce modèle pourrait-il permettre le développement d’un nouvel écosystème moins néfaste que l’agriculture intensive pour les terres et les hommes ?
On estime que l’agriculture de subsistance occupe environ 40% de la surface agricole. En soi, cette agriculture d’autosuffisance n’est pas un souci tant qu’elle nourrit le foyer. Les problèmes interviennent lorsque, lors d’une mauvaise année météorologique, ces petits agriculteurs n’auront aucun surplus à vendre dans les marchés ou sur le bord des routes, voire n’auront même pas de quoi se nourrir. En partie à cause de ce type d’agriculture, trop petite pour produire de la valeur ajoutée, la Roumanie ne couvre pas ses besoins en fruits et légumes. Et si pour la volaille et les œufs elle s’en tire encore bien, le secteur porcin a perdu de sa superbe, une partie de la viande doit être importée. La situation est similaire pour le secteur laitier. Par contre, en ce qui concerne les céréales, le blé, le maïs ou le tournesol, le pays est exportateur, c’est clairement son point fort. Pour revenir à votre question, on a aussi observé que certaines personnes, pas nécessairement issues du secteur agricole, décident de s’installer sur de petites fermes afin de produire une agriculture durable avec une vraie valeur ajoutée, et une nouvelle approche qui met en avant des circuits courts.
Qu’en est-il des grands agriculteurs ?
Ces grands agriculteurs sont principalement des céréaliers qui travaillaient déjà dans l’agriculture au sortir du communisme, connaisseurs des grandes exploitations de type soviétique et avec un bon bagage technique, mais souvent moins bons gestionnaires. Ceci étant, après l’adhésion de la Roumanie à l’UE en 2007, certains ont su moderniser leur ferme grâce aux subventions et gèrent aujourd’hui des exploitations tout à fait profitables. Mais, comme je l’ai déjà mentionné, je constate régulièrement que les nouvelles techniques de fertilisation ou d’utilisation des pesticides sont peu utilisées, ce qui rend les exploitations très dépendantes des phénomènes météorologiques extrêmes. Je mentionnerais également qu’il y a, depuis les années 1990, des exploitants étrangers, français, espagnols, italiens, arabes et autres, essentiellement dans la production céréalière. Mais ils n’ont pas envahi le pays comme certains politiques ont voulu le faire croire à un moment donné ; si les capitaux viennent d’ailleurs, les exploitations et les terres restent roumaines.
Propos recueillis par Olivier Jacques.
Pour aller plus loin, lire l’article d’Euractiv du 29 avril 2022 sur comment « la Roumanie cherche à combler le vide agricole laissé par la guerre en Ukraine » : https://www.euractiv.fr/section/agriculture-alimentation/news/la-roumanie-cherche-a-combler-le-vide-agricole-laisse-par-la-guerre-en-ukraine/