Entretien réalisé le mardi 24 mai dans l’après-midi, par téléphone et en roumain.
Irina Popescu-Mateescu est sage-femme et l’une des fondatrices de l’Association des sages-femmes indépendantes de Roumanie (AMI). Dans cet entretien, elle se penche sur l’accès à la santé reproductive pour les Ukrainiennes arrivées dans le pays…
Dans de nombreux États d’Europe de l’Est, la question de l’avortement reste problématique. Comment cela se passe-t-il pour ces Ukrainiennes qui viennent d’entrer en Roumanie ?
En premier lieu, je voudrais mentionner que le Mécanisme européen de protection civile devrait en théorie assurer l’accès gratuit aux soins pour les réfugiés ukrainiens. Mais dans la pratique, la situation n’est pas si simple et varie selon chaque pays, surtout lorsqu’il s’agit de santé reproductive. Pour répondre à votre question, nous conseillons d’abord aux personnes qui veulent avorter d’éviter d’aller en Pologne, l’avortement y étant interdit sauf en cas de viol ou de risque pour la mère. En Roumanie, l’accès à l’avortement se complique chaque année, notamment pour les femmes précaires et vulnérables (1). Il n’est pas non plus remboursé par la caisse d’assurance maladie ; récemment, nous avons dû aider financièrement une Ukrainienne qui souhaitait avorter. Elle était à moins de six semaines et a réussi à obtenir un avortement médicamenteux dans une clinique publique. Mais cela n’a pas été sans entrave… La première fois que nous avons appelé un hôpital pour une consultation, voilà ce qu’on nous a répondu : « Mais, pourquoi avorter ? Si son mari meurt, au moins elle aura son enfant avec elle. »
Qu’en est-il du suivi des femmes enceintes ?
Comme pour les Roumaines, le suivi est difficile car le métier de sage-femme n’est pas reconnu par l’État (1). Mais pour les réfugiées, la situation est d’autant plus compliquée car elles ont besoin d’un traducteur et ne sont généralement pas accompagnées du père. Un autre problème significatif ici est le nombre croissant de naissances par césarienne. Dans certains hôpitaux, cela peut concerner 80 % des naissances (2). En Ukraine, la césarienne est beaucoup moins pratiquée. Nous avons eu le cas d’une Ukrainienne qui ne voulait pas forcément de césarienne, mais on l’a poussée à en faire une parce que la procédure de déclenchement de la naissance par hormones n’avait soi-disant pas fonctionné. Ce déclenchement avait été programmé parce qu’il fallait qu’elle accouche au moment où un médecin de garde russophone était présent ; en Roumanie, aucune personne de l’extérieur ne peut accompagner une femme qui accouche dans la salle d’opération. En plus, l’anesthésie n’a pas marché, elle n’a pas compris ce qu’il se passait, ce fut une expérience terrible pour elle. Je ne suis pas contre les césariennes quand elles sont nécessaires ou que c’est le choix de la femme enceinte. Toutefois, ce ne sont pas des opérations anodines, et elles peuvent avoir des séquelles.
Combien de femmes ukrainiennes avez-vous assisté et de quelle manière ?
Nous avons aidé une centaine de femmes, parfois juste à travers notre ligne téléphonique d’urgence où elles peuvent nous appeler. Nous accompagnons aussi des femmes pendant leur grossesse, même si ce n’est pas remboursé par la caisse d’assurance maladie. Des financements externes nous aident. Par ailleurs, nous essayons de rencontrer les autorités pour faciliter l’accès aux droits reproductifs, notamment à l’avortement médicamenteux par télémédecine, déjà en place en république de Moldavie depuis un an. Enfin, obtenir une information avérée est également crucial, c’est pourquoi nous allons mettre en place un site Internet au mois de juin avec toutes les informations nécessaires sur la santé reproductive en Roumanie, en roumain, en anglais et en ukrainien.
Propos recueillis par Marine Leduc.
(1) À lire ou à relire, l’entretien avec Adina Paun sur la situation des sages-femmes et l’état de la santé reproductive en Roumanie (« Regard, la lettre », 15 mai 2021) : https://regard.ro/adina-paun/
(2) À lire et à voir, l’enquête de Recorder sur la pratique de la césarienne en Roumanie : https://recorder.ro/nastem-si-noi-azi-industria-cezarienelor-alimentata-de-teama-comoditate-si-lacomie-video/