Entretien réalisé le mardi 28 février dans la matinée, en anglais et par téléphone (depuis Chișinău).
Depuis quelques semaines, de nombreuses allégations circulent autour de la situation en Transnistrie. Éclairage avec Alexandru Flenchea, cofondateur de l’association moldave Initiative for Peace qui se concentre notamment sur la résolution de conflit. Il fut aussi ancien vice-Premier ministre pour la réintégration de la Transnistrie de 2019 à 2020…
Fin février, le Kremlin a accusé l’Ukraine d’amasser des troupes le long de la frontière avec la Transnistrie afin d’envahir la région. Si l’Ukraine a confirmé avoir placé un contingent de soldats à la frontière par mesure de précaution, Kyiv et Chișinău ont démenti un plan d’invasion. Où en est-on aujourd’hui ?
La situation autour de la Transnistrie et de la Moldavie dans son ensemble est tendue en raison de nombreuses spéculations et de la désinformation en provenance de Moscou. Aujourd’hui, la grande question est de savoir si cette désinformation, l’idée que l’Ukraine voudrait annexer la Transnistrie, a pour but de détourner l’attention de Kyiv sur ce qu’il se passe dans l’est de l’Ukraine, ou si elle vise à cacher les propres opérations prévues par la Russie au sein ou autour de la Transnistrie. Quelle que soit la réponse, cette escalade de déclarations, ce sensationnalisme accru dans la presse et les déclarations publiques n’aident pas. Cela nuit à la sécurité de la Moldavie et l’affecte directement. Les Ukrainiens se disent que la Russie veut leur faire porter le chapeau, alors qu’en réalité, des troupes ukrainiennes s’étaient déjà positionnées à cette même frontière après l’attaque de la Crimée en 2014, et que le contingent ukrainien a été renforcé suite aux provocations russes. Tout cela crée les conditions propices à d’autres provocations et à des incidents pouvant conduire à une escalade. Et génère une grande inquiétude à Chișinău.
Comment réagissent les autorités de Tiraspol en Transnistrie ?
S’il y a une chose qui unit tous les Moldaves à l’intérieur de la frontière internationalement reconnue de la Moldavie, et qui inclut aussi la Transnistrie, c’est le désir de paix. L’ensemble des interlocuteurs avec qui j’ai parlé récemment, quelle que soit leur position vis-à-vis de la guerre en Ukraine, sont d’accord sur ce point. Bien sûr, ils sont inquiets et se sentent en danger. De fait, la Russie ne prend pas du tout en considération les personnes qui vivent en Transnistrie. Pour le Kremlin, ce territoire n’est qu’un instrument. Et cet instrument est désormais utilisé pour mener une guerre de désinformation contre l’Ukraine. Moscou ne se soucie absolument pas de ce que les gens de Transnistrie pensent, ni de l’administration à Tiraspol. D’ailleurs, Vadim Krasnoselski, le leader de la Transnistrie, est resté silencieux jusqu’au 27 février, lors de sa première réaction publique. Il ne pouvait pas accuser Moscou de désinformation, cela aurait été plus qu’embarrassant, mais il devait toutefois rassurer les Transnistriens. Il leur a alors simplement dit de rester calmes, et qu’il les avertirait en cas de danger.
Le 21 février dernier, Vladimir Poutine a annulé un décret datant de 2012 sur la politique étrangère de la Russie. Les médias ont titré que cela remettait en question le respect de la souveraineté territoriale de la Moldavie. Qu’en est-il réellement ?
Il s’agit d’une interprétation erronée. Ce décret, qui décrivait la politique étrangère de la Russie en 2012, concerne toutes les régions du monde, pas seulement la Moldavie. Il est certain qu’au cours de la dernière décennie, l’environnement international et la position de la Russie ont radicalement changé. Le document en question était obsolète. Quoi qu’il en soit, en 2001, la Moldavie et la Russie ont signé un traité de coopération. Ce dernier régit les relations bilatérales entre la Moldavie et la Russie, et il prévoit la reconnaissance mutuelle de l’intégrité territoriale des deux pays. Cela dit, soyons honnêtes, si Poutine devait reconsidérer son approche concernant l’indépendance et la souveraineté de la Moldavie, aucun décret ou traité bilatéral ne pourrait l’empêcher de le faire. On l’a vu avec l’Ukraine.
Propos recueillis par Marine Leduc.
À lire ou à relire, notre précédent entretien avec Alexandru Flenchea sur la situation en Transnistrie (« Regard, la lettre » du samedi 14 mai 2022) : https://regard.ro/alexandru-flenchea/