Entretien réalisé le samedi 30 avril dans la soirée, suivi d’un deuxième le jeudi 12 mai à midi, en anglais et par téléphone (depuis Chişinău).
Fin avril, la région séparatiste de Transnistrie a été visée par plusieurs attaques, augmentant les risques sécuritaires en république de Moldavie. Analyse de la situation avec Alexandru Flenchea, ancien vice-Premier ministre pour la Réintégration de la Transnistrie en 2019 et 2020 – institution qui s’occupe des négociations avec la région séparatiste –, et cofondateur de l’association moldave Initiative For Peace…
Quel est l’impact des attaques en Transnistrie sur les relations entre Chişinău (capitale de la république de Moldavie, ndlr) et Tiraspol (capitale de la Transnistrie, ndlr) ?
La situation est extrêmement tendue. Ces attaques visaient clairement à embarquer la république de Moldavie dans la guerre en Ukraine. Cependant, de telles provocations ont surtout créé de l’inquiétude des deux côtés du Dniestr – fleuve séparant la république de Moldavie et la Transnistrie, ndlr –, aucune des deux parties ne voulant d’une nouvelle guerre après celle de 1992. Mes contacts en Transnistrie me le confirment, je suis donc moins alarmiste que d’autres. Par ailleurs, il faut retenir que le jeudi 28 avril a eu lieu une réunion à la frontière avec la Transnistrie entre des autorités haut placées des deux parties. Elles se sont notamment mis d’accord concernant le prix de l’approvisionnement de l’électricité depuis la Transnistrie pour le mois de mai. De son côté, Chişinău a accordé des autorisations pour le fonctionnement de l’aciérie de Rîbnița – ville située au nord de la Transnistrie, ndlr – qui n’avait plus de permis depuis deux mois. Cette rencontre a été cruciale, d’abord par son format, sans précédent, mais aussi parce qu’elle a permis de poursuivre la coopération économique. Cela démontre aussi que personne ne veut d’escalade du conflit.
De nombreuses rumeurs circulent en république de Moldavie concernant la mobilisation d’hommes en Transnistrie, d’autres affirment que l’Ukraine ou même la Roumanie serait sur le point d’attaquer la Transnistrie… D’où viennent-elles ?
Selon mon analyse, toute cette désinformation est initiée par la Russie pour déstabiliser la république de Moldavie, comme quoi la Transnistrie se prépare pour la guerre, que des militaires russes sont prêts à attaquer. Mais Moscou veut surtout maintenir la pression sur les Ukrainiens afin d’éviter que l’Ukraine ne redéploye ses troupes d’Odessa vers le Donbass. Concernant la mobilisation générale d’hommes, c’est faux, et pour le recrutement dans l’armée russe, il s’agit d’une combinaison de faits réels et de manipulation. Il y a un recrutement continu en Transnistrie pour un contingent modeste d’environ 1500 soldats russes, selon les estimations, et ce depuis des années, car certains partent à la retraite, d’autres démissionnent. La Russie ne peut pas faire de rotation parce que ni l’Ukraine ni la république de Moldavie n’autorise le transit de militaires russes. Elle est donc forcée de recruter des hommes en Transnistrie, beaucoup ayant un passeport russe. Ce n’est toutefois pas un recrutement de masse, et cela n’a rien de nouveau. Quant à l’armée transnistrienne, elle compte environ 7000 hommes, et 12 000 réservistes. Ces derniers sont appelés pour des exercices militaires chaque année pendant un ou deux mois, mais ce n’est pas obligatoire. À ce propos, je voudrais rappeler que la présence d’une armée russe et transnistrienne en Transnistrie est illégale.
À quoi peut-on s’attendre dans les prochaines semaines ?
Je ne pense pas qu’il y aura d’événements dramatiques, mais les tensions risquent d’augmenter. Il n’y a pas eu de débordements à Chişinău lors des grands rassemblements du 9 mai qui ont commémoré la victoire de l’ex URSS sur les Nazis, mais beaucoup ont porté des symboles interdits depuis le 21 avril, comme le ruban de Saint-Georges, signe de ralliement à la Russie. Certains parlementaires vont recevoir des amendes, et cela créera des tensions politiques, notamment dans la région autonome et prorusse de Gagaouzie. Par ailleurs, on va voir si la Russie continuera à fournir la république de Moldavie en gaz naturel, qui transite par la Transnistrie. Elle avait annoncé que le gaz serait fourni jusqu’à fin mai, mais on ne sait rien pour la suite. Les accords entre Chişinău et Tiraspol dépendent aussi de l’action de Moscou à ce niveau-là. Toutefois, la Russie n’a pas intérêt à stopper l’envoi de gaz à la Transnistrie, sauf événement majeur.
Propos recueillis par Marine Leduc.
Pour en savoir plus sur la présence militaire russe en Transnistrie : https://www.cairn.info/revue-defense-nationale-2019-3-page-107.html