À partir du 1er janvier 2022, les employés au salaire minimum recevront 1524 lei par mois, soit une augmentation de près de 11%. Explications avec Victoria Stoiciu, directrice de programme à la Fondation Friedrich-Ebert…
Le salaire minimum couvre-t-il les besoins d’une vie décente ?
Environ 30% des employés roumains vivent du salaire minimum, qui est actuellement de 1380 lei net (280 euros, ndlr). Mais cela ne veut pas dire qu’ils mènent une vie décente, avec un minimum de confort, un accès à la santé, à l’éducation, aux loisirs, etc. Nous ne connaissons pas la valeur du panier de consommation minimum (1) pour l’année en cours, car il n’a pas encore été calculé. En tout cas, en septembre 2020, quand j’ai réalisé avec Syndex (2) le dernier calcul de la valeur du panier de consommation pour une vie décente, nous avons estimé qu’un adulte célibataire avait besoin de 2818 lei par mois – moyenne sur l’ensemble du pays, villes et campagne confondues, ndlr. Au-delà des besoins essentiels, cette somme permet l’accès à la santé, à l’éducation, aux loisirs, et de faire des petites économies, au cas où. Un ménage, c’est-à-dire deux parents et deux enfants jusqu’à l’âge de 14 ans, avait besoin, l’année dernière, de 7278 lei de revenus mensuels pour vivre décemment. L’augmentation du salaire minimum annoncée par le gouvernement est donc largement insuffisante.
(1) La mesure du panier de consommation (MPC) comprend la nourriture, l’habillement, le transport, le logement et autres dépenses.
(2) Organisation qui réalise des expertises économiques et sociales pour les syndicats roumains et pour les représentants des salariés roumains dans les structures de dialogue social à dimension européenne.
Comment expliquez-vous cet écart très important entre le salaire minimum et le panier de consommation minimum ?
C’est tout simplement une question de politique. Nous avons une loi qui stipule explicitement que ce panier de consommation pour une vie décente est l’élément principal pour calculer le salaire minimum brut, et doit constituer la base des politiques salariales. Le gouvernement a délibérément choisi d’ignorer cette loi et de suivre uniquement des paramètres tels que la productivité et l’inflation, sans prendre en compte ce que les syndicats avaient négocié. Soyons clairs : personne en Roumanie, ni même les syndicats, ne prétend que le salaire minimum devrait augmenter du jour au lendemain pour arriver au niveau du panier de consommation pour une vie décente, et donc atteindre le seuil de 2800 lei. Mais nous ne voyons pas la moindre volonté de la part du gouvernement de fixer ce seuil comme un objectif ou une aspiration. Son seul souci semble être de ne pas affecter la compétitivité de la Roumanie, et de continuer à proposer une main-d’œuvre bon marché.
En augmentant le salaire minimum de façon trop radicale, la Roumanie risque effectivement de perdre un avantage compétitif capital, notamment aux yeux des investisseurs étrangers. Dans son rapport de 2020, la Commission européenne avait déjà pointé du doigt le fait que les augmentations de salaire étaient trop élevées par rapport à la croissance de la productivité (3)…
Certes, mais nous devrions nous demander quel genre de pays et d’économie nous voulons. Le secteur textile est un bon exemple d’une activité avec de faibles marges de bénéfice, une main-d’œuvre peu qualifiée et des salaires très modestes. La concurrence mondiale dans ce secteur est énorme, il y a la Chine, le Bangladesh, etc. Les salaires sont bas, et il est souvent difficile de proposer plus. Il s’agit d’une industrie basée sur la sous-traitance, et la production proprement dite se situe en bout de chaîne de cette sous-traitance, elle est donc très fragile. La question est de savoir si nous voulons continuer avec ce modèle économique, car il est évident que c’est un modèle qui nous condamne à la précarité. N’y a-t-il pas d’autres types d’investissements ? Bien qu’ils soient déjà présents, ne peut-on pas attirer davantage d’investisseurs d’autres secteurs qui s’appuient sur une main-d’œuvre plus qualifiée, et où la valeur ajoutée est plus élevée ?
Propos recueillis par Matei Martin.
(3) Rapport pays 2020 : https://ec.europa.eu/info/sites/default/files/2020-european_semester_country-report-romania_ro.pdf