Iulian Stănescu, sociologue à l’Institut de recherche sur la qualité de vie (ICCV), revient sur l’impact de la pandémie sur la société roumaine, entre progression de la solitude et méfiance envers les autorités…
Vous avez récemment réalisé une étude intitulée « Pandémie de Covid-19 et vaccination : représentations sociales ». Quelles en sont les principales conclusions ?
Tout d’abord, nous avons constaté que la cohésion sociale s’est érodée par rapport au début de la pandémie. Qu’il s’agisse de soutien de la part des autres, de solidarité ou de confiance entre les gens, la perception majoritaire est que les choses se sont dégradées ou, tout au plus, sont restées inchangées. Idem concernant le sentiment de solitude ; environ un tiers des Roumains ont eu, ces derniers mois, le sentiment d’être seuls. Les constats liés à la cohésion sociale, qui est une variable stratégique de la résilience et de la capacité d’une société à endosser un effort collectif, sont inquiétants. On peut même dire qu’il y a là un parallèle avec une situation de guerre. Lorsqu’un pays entre en guerre, le niveau de cohésion sociale est élevé, la société se ralliant autour d’un étendard. Ensuite, avec le temps qui passe et les pertes en vies humaines, la cohésion sociale diminue. C’est ce qui s’est passé en ces temps de pandémie ; lorsque le président Klaus Iohannis a présenté l’urgence des mesures pour enrayer la propagation du virus, les Roumains se sont ralliés contre un danger menaçant la société. Mais petit à petit, cette cohésion s’est dissipée.
Qu’en est-il de la confiance de la population dans les autorités ?
L’un des traits caractéristiques de la Roumanie est le niveau élevé de méfiance envers les responsables politiques, le parlement, le gouvernement, la police, et une confiance modérée dans les médias. Par conséquent, lorsque des informations faisant état de l’arrivée d’une pandémie ou de l’existence d’un virus dangereux sont émises et transmises par des personnes ou des entités qui ne bénéficient que d’un niveau réduit ou modéré de confiance, un contexte idéal se crée pour que des messages opposés, niant notamment l’efficacité de la vaccination, se propagent. D’autant plus que la Roumanie est parmi les premiers pays de l’Union européenne en termes d’utilisation des réseaux sociaux. Les canaux de transmission des messages « anti-vaccin » ou « corona-sceptiques » y fonctionnent très bien, permettant à ces messages d’atteindre facilement une masse critique de la population.
Votre analyse évoque en outre des tensions sociales en augmentation, de quoi s’agit-il ?
Cette pandémie est arrivée dans un contexte d’inégalités sociales doublé d’un fort taux de pessimisme concernant l’avenir du pays. Trois quarts, voire 4/5 des Roumains, un niveau particulièrement inquiétant, ne croient pas que le pays avance dans la bonne direction, c’est-à-dire une voie susceptible de leur offrir une qualité de vie satisfaisante. L’effet de ce pessimisme est que les gens sont toujours plus disposés à émigrer, temporairement ou définitivement, à la recherche d’une vie meilleure.
Propos recueillis par Mihaela Rodina.