Entretien réalisé en français le jeudi 22 septembre au matin, en visioconférence depuis Timişoara.
Victor Neumann, ancien directeur du Musée des beaux-arts de Timişoara, est un historien spécialiste des histoires culturelles et intellectuelles récentes de l’Europe centrale et orientale. En 2019, il a publié « The Banat of Timişoara : A European Melting Pot », une introduction à la ville qui sera Capitale européenne de la culture en 2023…
Qu’aimez-vous particulièrement à Timişoara ?
Si la Roumanie est un carrefour des cultures entre l’Europe centrale et du sud-est, Timişoara en est l’épicentre. La ville a été occupée par les Ottomans puis est devenue un avant-poste dans le processus de modernisation au sein de l’ancien empire des Habsbourg. Ce dernier a facilité la venue de « colonies » allemandes, françaises, italiennes, tchèques, hongroises, slovaques… La population d’alors, roumaine et serbe, a accepté ces nouveaux arrivants. Ensemble, ils ont totalement remodelé la région du Banat aux 18ème et 19ème siècles. C’est pourquoi il s’agit d’une ville spéciale, multiculturelle, je dirais même interculturelle, une combinaison entre les religions et les cultures. Je suis moi-même issu de cette interculturalité, ma mère étant roumaine et chrétienne, mon père juif avec un nom allemand. Timişoara fait d’ailleurs partie des villes qui ont protégé leurs Juifs face aux fascismes, contrairement à d’autres. La diversité y est importante et respectée, encore aujourd’hui, alors que celle-ci n’est parfois pas acceptée dans d’autres régions du pays. Même si ce n’est pas la même chose qu’avant la Seconde Guerre mondiale, ces phénomènes interculturels à Timişoara persistent, notamment dans les milieux artistiques et universitaires.
Timişoara va devenir Capitale européenne de la culture en 2023. Pourquoi est-ce important pour la ville ?
Lors de la candidature, à laquelle j’ai participé, nous avons mis en avant ce cosmopolitisme de Timişoara, en insistant sur le fait qu’une révolution politique ne suffit pas pour un changement fondamental, mais que celui-ci se fonde aussi sur la connaissance et la reconnaissance de l’autre, sur les passerelles entre les individus et les communautés multiculturelles. Autrement dit, ce fut un plaidoyer pour un changement de paradigme par la culture et l’éducation. La ville traverse en ce moment une crise identitaire et politico-administrative. Ceci étant, selon moi, la renaissance et la réinvention de Timișoara peuvent être possibles grâce à ce projet de Capitale européenne de la culture. Cela sera peut-être un nouveau départ pour un dialogue Est-Ouest et Nord-Sud, contribuant à l’interférence culturelle, à cette toile de fond qui unit les peuples, les cultures, les religions, les communautés, et qui ne se laisse pas tromper par des idéologies irrationnelles.
À quel point la ville est-elle préparée à devenir Capitale européenne de la culture ?
Malheureusement, certains acteurs ne sont pas prêts pour un changement, et des institutions administratives publiques n’ont pas encore défini leur stratégie pour l’année 2023. Par ailleurs, il y a des décisions contradictoires qui sont prises sur des critères politiques, tandis que des institutions culturelles publiques ne bénéficient pas forcément d’une gestion professionnelle. Toutefois, il y a eu de bonnes surprises, comme l’implication de nombreux jeunes dans le projet, et la contribution d’entreprises privées dans l’organisation d’événements. Des bâtiments historiques ont été restaurés, et déjà de nombreuses manifestations culturelles, des expositions, des représentations d’opéra et de théâtre ont été lancées dans les trois langues principales de la ville : le roumain, le hongrois et l’allemand.
Propos recueillis par Marine Leduc.