Vasile Ernu est un écrivain et commentateur politique roumain né à Odessa. Son dernier livre, Sălbaticii copii dingo (les enfants dingo sauvages) vient de sortir aux éditions Polirom. Dans cet échange, il revient entre autres sur le passé soviétique et sur son rapport avec la Russie actuelle…
Dans votre nouveau livre, vous évoquez l’adolescence en Bessarabie*, peu avant l’effondrement de l’URSS. Comment avez-vous ressenti cette époque tourmentée ?
Si l’enfance est un âge paradisiaque, alors l’adolescence est une sorte de petit enfer intérieur. Le corps change, les émotions vous envahissent, ainsi qu’un esprit rebelle. Nous devenons des êtres sacrément difficiles. En même temps, il y a les passions, les amours, les amitiés, et des liens parfois compliquées au sein des communautés. C’est surtout cela qui m’a intéressé dans ce livre. Qu’est-ce qu’un chien dingo ? C’est un chien d’Australie apprivoisé par les aborigènes qui, une fois libéré dans la nature, redevient sauvage. Un peu à l’image du destin de ma génération. Parallèlement à ces transformations individuelles, nous avons vécu des mutations au niveau social, politique et économique. Le redoutable régime communiste soviétique s’effondrait, il y a eu une dissolution du monde tel qu’on le connaissait, avec des héros et des idoles qui meurent et d’autres qui naissent. C’est dans ce contexte que je place les histoires de ces « enfants dingo » et leur adaptation à une vie nouvelle. Cette époque, on l’a vécue avec un enthousiasme fou, presque mystique. Maintenant, j’en viens à la remettre en question, trente ans après. J’ai vécu dans un grand âge qui a eu un épilogue tragique. C’est pourquoi je vais poursuivre ma réflexion dans un prochain livre qui couvre les années 1990 de ces « enfants dingo ». Le livre aura un titre dur, Cannibal Generation.
* Territoire comprenant principalement l’actuelle République de Moldavie, ndlr.
Quel est votre rapport avec la Russie d’aujourd’hui ?
Tout cet immense espace m’est familier, il fait partie de mon identité. Les Russes et leur culture me sont très proches, ils sont comme des voisins avec lesquels j’ai vécu des années d’enfance et d’adolescence, avec lesquels j’ai partagé le meilleur comme le pire. Je me sens intimement lié à la culture russe. Il y a des choses qu’on ne choisit pas, elles vous sont données. Quant à la politique du Kremlin, elle m’est étrangère, elle est beaucoup trop conservatrice, beaucoup trop autoritaire et expansionniste, avec une économie orientée vers le néolibéralisme. De la même façon, « l’anti-russisme » stupide et vulgaire, notamment promu dans notre pays plutôt par ignorance, me déplaît tout autant.
Comment voyez-vous l’avenir des pays d’Europe de l’Est ?
Franchement, je le vois assez sombre. Mais cela a surtout à voir avec l’ensemble de la politique mondiale et de l’économie globale, il ne s’agit pas que de ces régions. Cependant, les zones périphériques sont en général plus fragiles. Si le dénommé monde développé souffre d’une dépression sociale, alors la périphérie est, selon moi, dans une sorte de mort clinique. Quand on regarde, par exemple, ce qui se passe en Bessarabie en ce moment, cela fait peur. Il y a trop de pauvreté et de souffrance. Néanmoins, il y a aussi de l’espoir. Généralement, l’humanité trouve des solutions quand elle expérimente des situations extrêmes. Si nous ne sommes pas toujours capables de tirer les leçons de l’histoire, nous sommes au moins aptes à réparer certaines de nos erreurs. Un printemps viendra sûrement, nous avons vécu la chute du communisme et de l’État soviétique, pourquoi ne pas envisager de vivre dans un monde meilleur.
Propos recueillis par Matei Martin.