Entretien réalisé le mardi 25 octobre dans la matinée, en roumain et par téléphone (depuis Sibiu).
Valer Simion Cosma est anthropologue, historien et directeur de la bibliothèque Lucian Blaga de Sibiu. Il revient sur les difficultés d’accès à la culture dans le milieu rural…
Quels sont les principaux enjeux de l’accès à une offre culturelle diverse en milieu rural ?
Tout d’abord, le besoin d’infrastructures culturelles. Dans les villages, les maisons de la culture qui datent de la période communiste ont souvent fermé. Seules quelques-unes ont été rénovées, mais pas toujours très bien. L’acoustique n’y est souvent pas prise en compte, cela les rend inutiles pour le spectacle vivant. Par ailleurs, beaucoup sont devenues de simples salles de réception. C’est le cas aussi pour tout le réseau de cinémas ; ils ont été vendus, détruits, ou transformés en bars ou en discothèques. Le deuxième enjeu est celui de l’offre culturelle et des ressources humaines. Ces dernières années, des centaines de bibliothèques ont disparu en Roumanie. Et là où elles n’ont pas mis la clef sous la porte, elles fonctionnent comme de simples espaces de stockage de livres plus que comme des espaces d’interaction culturelle, car il n’y a pas de personnel formé et préparé pour créer un programme culturel.
Le manque de financement semble être au cœur de tous ces problèmes, encore et toujours…
Oui, tout cela revient à un manque de financement. Sans argent, on ne peut pas vraiment lutter contre l’absence d’offre culturelle. À la source de ce sous-financement, on retrouve une vision politique néo-libérale selon laquelle la présence de l’État doit être minimale. Depuis les années 2000, l’État se retire des villages et des petites villes ; les effets de cette politique sur la culture sont délétères. L’État ne reste présent que sous la forme d’une simple administration locale. Mais pour tout ce qui concerne les institutions culturelles, c’est le vide. Pourtant, la plupart du temps, le besoin financier n’est pas énorme. Par exemple, doter les bibliothèques de livres récents ne représente pas un budget conséquent. Or, cela aurait des effets importants. Je remarque que les couleurs vives, la qualité des impressions, des images, des couvertures sont autant d’éléments qui peuvent paraître anecdotiques mais qui sont essentiels pour attirer les enfants vers la lecture. Il s’agit aussi d’offrir des livres en phase avec l’horizon culturel des jeunes générations ; je pense à la science-fiction, aux mangas… Il est crucial d’amener la lecture aux enfants. Plus largement, je voudrais souligner que les questions de dépopulation des milieux ruraux et de manque d’offre culturelle sont clairement liées. À partir du moment où l’on ferme les écoles, les dispensaires et les lieux de culture, on pousse les jeunes à s’en aller et on n’incite personne à revenir.
Qu’en est-il de la culture traditionnelle, du folklore ?
C’est aujourd’hui l’unique offre qui reste bien financée. Mais je pense qu’il est très dommageable de réduire les villages et les petites villes à de simples producteurs et consommateurs de folklore. C’est le fruit d’une vision étriquée de la part des villes vis-à-vis de la ruralité qui n’incarnerait que la tradition. Certes, cette culture doit être protégée, mais elle accapare tous les financements et bloque l’horizon culturel de la jeunesse. Il est devenu quasiment impossible pour un jeune d’explorer d’autres choses. En habitant dans un village, il va intérioriser un complexe d’infériorité car il n’aura pas accès au théâtre, aux artistes, etc… Il sera réduit au folklore. Et même s’il est curieux, il n’aura pas les moyens d’assouvir cette curiosité, ni en tant que public, et encore moins en tant que créateur. Entre la jeunesse des grandes villes et celle des petites villes et villages, il y a un contraste immense. Le folklore est également une solution de facilité. Tout le monde aime ça, et l’on peut en faire des festivals rentables. On en revient au problème de vision politique.
Propos recueillis par Hervé Bossy.