La chronique d’Isabelle Wesselingh
Il se cache parfois, derrière une seule phrase d’un article, un travail long de plusieurs jours, fait de multiples coups de fil, de questions adressées par mail puis répétées par téléphone face à l’absence de réponse, de centaines de pages de documents scrutées avec attention à la recherche du détail qui nous semble important pour le sujet que l’on traite. Ceci afin de s’assurer que l’information ou le chiffre avancé est crédible et vérifié.
Ce fut le cas récemment pour un « simple » chiffre : la quantité de cyanure nécessaire sur un an pour ce qui pourrait être la plus grande mine d’or d’Europe, Rosia Montana, dans le nord-ouest de la Roumanie. Par de nombreux aspects, dont la quantité d’or estimée – 300 tonnes d’or – le projet, porté par la Rosia Montana Gold Corporation est d’une ampleur inédite en Europe, un continent qui produit à peine 1% de l’or mondial. Face à la polémique en Roumanie, notamment sur la question du cyanure, il semblait logique de savoir combien de tonnes de cette substance classée toxique – mais autorisée sous condition par l’Union européenne – seraient nécessaires pour une année d’exploitation, voire pour les 16 ans que durera celle-ci. Y compris, comme le souligne la compagnie RMGC, car des mesures strictes de précaution seront nécessaires pour l’acheminement de cette substance par train puis par route, et pour le stockage.
La tâche s’annonçait plutôt simple quand une de mes collègues suédoises trouva en une dizaine de minutes et par un simple coup de fil que la mine d’or de Svartliden en Suède, un des pays comptant des mines d’or utilisant le processus de cyanuration dans l’industrie aurifère, utilisait 263 tonnes de cyanure par an. Je me tournai vers la compagnie minière RMGC en Roumanie, la mieux placée pour fournir ce type de données.
Si certains opposants à la mine d’or de Rosia Montana évoquaient parfois des chiffres, mon métier de journaliste m’obligeait forcément à les considérer avec prudence puisqu’ils venaient du camp adverse. J’avais besoin soit d’une confirmation de la compagnie, soit d’un document officiel indiquant la quantité annuelle de cyanure nécessaire pour être plus crédible. Encouragée par l’avalanche de chiffres présentée par la RMGC sur son site internet et dans ses présentations, je m’apercevais toutefois que la quantité recherchée n’y figurait pas, bien qu’on y apprenne que la quantité de cyanure rejetée dans le bassin de résidus d’extraction (le cyanure est utilisé pour extraire l’or de sa gangue minérale) sera inférieure aux normes requises par l’Union européenne. J’ai donc posé la question à un responsable de la compagnie. Après deux mails sans réponse, j’appelai et ne pus obtenir aucune réponse quelle que soit la manière de poser la question. On me dirigea vers le département communication qui ne répondit pas davantage à cette sollicitation. Même absence de réponse du ministère de l’Environnement sur cette question précise. Nous nous mires donc à éplucher la très officielle et volumineuse Etude d’impact environnemental remise au ministère pour soutenir la demande d’autorisation en 2007. Y figurait finalement, dans un tableau, le chiffre recherché. Un responsable de la compagnie finit par lâcher que les données de l’étude étaient toujours valables, rien de plus.
Le simple chiffre est donc le suivant : une quantité moyenne de 12.000 tonnes de cyanure par an est prévue pour extraire l’or de Rosia Montana. Douze fois plus que les 1000 tonnes de cyanure utilisées chaque année dans l’ensemble des mines d’or d’Europe, un chiffre (les 1000 tonnes) donné en 2010 par l’association des industries minières européennes, Euromines.
Isabelle Wesselingh est l’ancienne chef du bureau de l’Agence France-Presse à Bucarest (mars 2013).