L’image de la femme en Roumanie est devenue très sexualisée. Malgré cette saturation dans les journaux, à la télé, dans la rue, l’anthropologue Vintilă Mihăilescu estime que la situation ne peut aller qu’en s’améliorant.
Regard : Pourquoi le corps de la femme est-il montré de façon si explicite en Roumanie ?
Vintilă Mihăilescu : Après une pause de 50 ans, la société est entrée de façon brutale dans l’économie de marché. L’image de la femme s’est alors calquée sur les pratiques et les clichés de la publicité mondiale. Cette image publicitaire sexualisée presque partout dans le monde est particulièrement présente chez nous car les réglementations en matière de publicité sont assez flexibles, ce qui mène à l’excès dans ce domaine en général. L’image sexualisée de la femme est en excès parce que chez nous, tout est en excès.
Que pensez-vous du comportement des médias notamment ?
Il y a des tabloïdes partout dans le monde. Si on a une presse forte et intéressante, et 17 tabloïdes, ça va. Le problème, c’est le rapport entre les deux, car aujourd’hui on a presque que des tabloïdes. De plus, il existe un mimétisme très bizarre des médias. L’obsession de faire ce que la concurrence a fait. Si quelqu’un a fait « la fille de la 5ème page », les autres feront pareil. On ne retrouve pas la même chose au sein de marchés plus matures, où la concurrence pousse davantage à l’individualisation, c’est-à-dire à offrir ce que personne d’autre n’offre.
C’est d’autant plus vrai quand on regarde la télé roumaine…
Les recettes de divertissement misent sur les instincts primaires, dont la sexualité. Mais la répétition crée obsessions pavloviennes et saturation à la fois. Ces derniers temps, des télés essayent timidement de faire autre chose mais aucune n’a pas le courage d’être la première à s’assumer.
Mis à part ce retard de la société roumaine par rapport à d’autres pays européens, y a-t-il une autre explication ?
Des études seraient utiles, je ne peux que vous donner une impression. Mais j’évoquerais l’étude d’une collègue belge qui a beaucoup travaillé en Roumanie. Sa recherche commence avec un Français qui avait aménagé à Bucarest au 19ème siècle, un semi-noble. Il avait décidé de venir s’installer ici car il était fasciné par une sorte de liberté d’expression du corps, par ce côté que l’Occident a castré dans son processus de civilisation. On est civilisé dans la mesure où la raison contrôle la passion. C’est en partie de là que vient la fascination pour les Balkans en général, cette libération était et reste permise. Non pas parce que les Balkans sont plus dénaturés, dépravés, mais parce que ce processus de civilisation est arrivé plus tard et il est plus superficiel. Cette expression plus explosive de la liberté du corps fait partie du bagage culturel de la zone. Cela se voit aussi dans les manele, qui sont une sorte de libération du corps décomplexée et c’est pour cela qu’elles plaisent.
Les Roumains respectent-ils la femme ?
Elle est moins respectée qu’elle ne l’était il y a 20 ans et moins qu’elle le sera d’ici 20 ans. Nous vivons une période dans laquelle les modèles de famille et les relations sont en train d’être reconsidérés. Avant il y avait un respect traditionnel vis-à-vis de la femme en tant que mère, épouse, femme au foyer. Avec une hiérarchie patriarcale, évidement, parfois exagérée par les interprétations féministes qui estiment que lorsque l’homme a le pouvoir, les inégalités sont alors à tous les niveaux. C’est faux. Il est bien connu que si l’homme est le pilier du foyer, c’est la femme qui a les clés de la maison. Certes il y avait une hiérarchie, personne ne peut le nier, mais il y avait aussi une répartition nuancée et du respect. En Roumanie, ce modèle est en train de se déliter. Sans être encore arrivé au modèle occidental d’égalité relative entre les sexes. Nous gardons de nombreux traits du modèle patriarcal, qui est aujourd’hui exacerbé. Et s’est transformé en une composante machiste, alors qu’à la base, le paysan n’était pas machiste. Il était patriarcal. Ce n’est pas la même chose. Cette transformation se manifeste par un mépris des femmes qui n’est pas encore contrôlé par des règles morales mais aussi légales.
C’est en ce sens que je disais que la femme est moins bien perçue qu’il y a 20 ans, et qu’elle ne le sera dans 20 ans.
Même les femmes qui réussissent ne semblent pas y échapper… Parce que les modèles dominants restent ceux sexualisés. Mais le fait que l’image de la femme qui a réussi trouve petit à petit sa place est important. Elle devra cependant passer par plusieurs étapes pour être différemment représentée, car c’est la femme sexualisée qui aujourd’hui domine, en quelque sorte. Ceux qui sont dans le marketing public restent avec les mêmes automatismes, ils sexualisent, c’est la règle du marché, et appliquent les recettes déjà validées.
Pourquoi est-ce grave ?
Au-delà des slogans, l’inégalité des chances est chez elle en Roumanie. Si on se permet de sous-évaluer et sous-utiliser une partie importante de la population, on perd quelque chose, en termes économiques mais pas seulement. C’est cela l’effet le plus dramatique. Ces types d’excès font partie d’une situation, d’un contexte plus large. Leurs évolutions respectives ne sont pas complètement distinctes, l’image de la femme, la migration, la famille, tout cela forme un ensemble, qui a certes ses décalages, mais ce ne sont pas des phénomènes isolés les uns des autres.
Les femmes ont-elles leur part de responsabilité ?
Bien sûr. D’abord parce que cette image sexualisée de la femme est le produit de la société, et pas seulement des hommes. Dans la publicité et les médias travaillent beaucoup de femmes qui ne s’intéressent qu’à ce qui se vend bien sur le marché, et n’hésitent pas à exagérer cette même image.
Propos recueillis par Anca Teodorescu (mars 2013).