A 104 ans, la peintre Medi Dinu Wechsler coule de paisibles journées dans la maison de retraite de la communauté juive de Bucarest. Mais les visites sont rares, alors que dans sa jeunesse, elle côtoyait régulièrement les plus grands artistes roumains du début du 20ème siècle. Rencontre.
Lorsqu’elle est née, le roi Carol 1er régnait encore, et la Roumanie ne ressemblait pas à un poisson obèse mais à une hanse de cruche. La Transylvanie appartenait à l’empire austro-hongrois. Et c’est encore une autre Roumanie que Medi Dinu Wechsler a connu pendant sa jeunesse… Quand un rayon de soleil s’invite à travers la fenêtre de sa petite chambre, c’est dans le Balcic roumain des années trente que son esprit s’envole. Les parfums et les couleurs de ce village du bord de la mer Noire, qui appartient désormais à la Bulgarie, lui reviennent comme si c’était hier. « Quand j’y ai posé les pieds pour la première fois, j’ai eu l’impression que j’étais dans un autre pays. Un pays enchanté (…) et aussi le repaire des artistes », se souvient-elle.
De Costin Petrescu…
Jeune fille, Medi Dinu Wechsler ne rêve pas de devenir peintre mais décoratrice d’intérieur. Elle veut intégrer la faculté d’architecture de Bucarest mais ses mauvaises performances en mathématiques la rendent pessimiste. Lors de l’épreuve de dessin du concours d’entrée, le professeur qui surveille l’examen s’arrête, intrigué devant sa copie. En voyant son croquis, il lui conseille d’intégrer les Beaux arts. Medi Dinu Wechsler venait d’être repérée par l’un des plus grands peintres de l’époque : Costin Petrescu, l’auteur de la fresque magistrale retraçant l’histoire de la Roumanie de l’Athénée roumain de Bucarest. Cette première rencontre pousse Medi Dinu Wechsler vers la peinture et plus particulièrement l’aquarelle. En parallèle, elle suit des cours à la faculté de mathématiques, pour intégrer un jour les bancs de l’architecture… L’un de ses professeurs est Dan Barbilian, un illustre mathématicien et surtout l’un des plus grands poètes modernistes de l’Entre-deux-guerres, qui signait sous le pseudonyme de Ion Barbu. « Je connaissais par cœur ses poésies mais je ne savais pas qu’il ne faisait qu’un avec mon professeur de maths », rit-elle.
…à Victor Brauner
A la fin de ses études, Medi Dinu Wechsler renonce finalement à ses ambitions de décoratrice d’intérieur et se dédie à la peinture. Elle part en résidence artistique à Balcic, un lieu culte pour les artistes de l’époque, afin de perfectionner sa technique. Là-bas, elle rencontre un groupe d’avant-gardistes, les poètes Gellu Naum, Geo Bogza et Saşa Pană en font partie. Le photographe et dessinateur Théodore Brauner aussi. Et c’est grâce à ce dernier qu’elle connaîtra le grand frère : Victor Brauner. « Il n’y avait pas beaucoup de modernistes à l’époque en Roumanie, mais ils étaient très talentueux. Victor Brauner, lui, était plutôt un supra-réaliste », précise-t-elle. Quand elle l’a connu, il était moyennement apprécié dans le pays. Elle se rappelle d’ailleurs d’une exposition à Bucarest où il n’a rien vendu. « C’était trop moderne pour les autorités, précise-t-elle. Il me disait qu’il appréciait ce que je faisais. Moi, je m’intéressais à son travail, mais je ne peux pas dire que je l’admirais. » Jusqu’à ce qu’elle tombe amoureuse de son futur mari, le poète moderniste Stefan Roll.
Coupée dans son élan
L’arrivée des communistes mettra un terme à cette vie artistique et bohème. « L’élan de l’Avant-guerre s’est brusquement éteint », déplore Medi Dinu Wechsler. Elle refuse de s’inscrire au parti communiste et voit sa carrière mise entre parenthèses. On n’accepte plus ses œuvres dans les expositions. Elle continuera cependant de peindre. « Aujourd’hui encore, je sais que je ne suis pas devenue une vraie peintre. J’avais l’étoffe d’un peintre et l’envie, mais je me rendais bien compte que j’étais loin de ce que je voulais obtenir », dit-elle d’une voix lente et claire en guise de conclusion. Et sourit.
Jonas Mercier (mai 2013).