Alin Fumurescu est professeur de philosophie politique à l’université de Houston (Etats-Unis, Texas). Il donne ici sa vision du bilan de la première année de mandat du président Klaus Iohannis.
Regard : La cote de popularité de Klaus Iohannis reste élevée, même si les critiques se font plus nombreuses. Que peut-on lui reprocher aujourd’hui ?
Alin Fumurescu : N’importe quel président élu est attendu au tournant. Sa popularité stagne ou baisse, cela a toujours été ainsi, en Roumanie comme ailleurs. Concernant Iohannis, la première chose qu’on peut lui reprocher est son manque de visibilité dans l’espace public. Ce qui est paradoxal, car c’est précisément l’une des promesses qu’il a faites lors de sa campagne, qu’il serait un président sobre en termes d’exposition médiatique. Mais les conséquences d’une attitude ou d’une prise de position sont difficilement mesurables et peuvent donner des résultats contraires à la première intention. D’autant que depuis 1989, les Roumains vivent au sein d’une société profondément divisée, avec de nombreuses lignes de fracture. Le calme apparaît vite suspect, cultiver la polémique est intrinsèque à leur façon d’être. Rappelez-vous du slogan de Ion Iliescu il y a plus de vingt ans… « Nous voulons la tranquillité ! »
Klaus Iohannis ne serait donc pas responsable des critiques mais plutôt victime ?
Le président a évidemment une part de responsabilité. Si les électeurs ont voté pour un président qui a promis de « se taire et de faire », comme tout bon « germain », l’impression générale est qu’il se tait davantage qu’il ne fait. Mais encore une fois, il ne s’agit pas de la réalité mais de perception. Certes, Klaus Iohannis a fait quelques erreurs, je pense notamment au vote par correspondance qui attend toujours d’être promulgué par une législation spécifique. Mais rien de grave, et il n’y a pas urgence. Quoi qu’il en soit, les pressions sur le président vont croitre, surtout avant les élections, ce qui est normal.
Le Premier ministre Victor Ponta est accusé de faux, blanchiment d’argent et évasion fiscale. Au printemps, le président a demandé sa démission sans résultat, aurait-il pu agir autrement ?
Selon moi, oui, il aurait pu agir autrement. Il aurait pu faire plus en faisant moins. En s’abstenant d’abord de demander la démission de M. Ponta sachant qu’il serait presque impossible de l’obtenir. L’inutilité de la démarche fut un échec tant pour le président que pour les gens qui le soutiennent. Petite parenthèse : chacun dans son enfance a eu un ami un peu mauvais garçon. Je me rappelle que l’un d’eux m’a dit un jour qu’il ne s’engageait jamais dans une bagarre s’il n’était pas sûr de gagner. Des années plus tard, en lisant Machiavelli, j’ai constaté qu’il préconisait la même chose, certes de façon plus raffinée.
Klaus Iohannis a reproché au Parlement de protéger les corrompus. Il a obtenu des changements, certains d’entre eux n’ont cependant pas duré. Plus généralement, comment voyez-vous sa relation avec son parti, le Parti national libéral (PNL, ndlr) ?
Dès que le Parlement sent que la colère des gens devient moins vive, il continue à protéger ses corrompus, d’autant que le président n’a pas le soutien d’une majorité de députés. Mais pour répondre à la seconde partie de votre question, quand Klaus Iohannis a-t-il vraiment été proche du PNL ? Je dirais qu’ils se servent l’un de l’autre, rien de plus. Ce qui, durant la campagne présidentielle, a plutôt été un avantage ; les gens voulaient un candidat anti-système, et Klaus Iohannis était précisément perçu comme vaguement rattaché au PNL, même en étant président du parti. Ceci dit, quand il est question de gouverner, l’absence de soutien d’un parti rend un leader plus vulnérable, de façon générale. On peut toutefois se demander de quel PNL nous parlons. S’agit-il de celui de l’alliance DA qui a remporté les élections en 2004 ? Celui de l’USL (Union social-libérale, ndlr), gagnante de celles de 2012 ? Ou celui de maintenant, le « nouveau » PNL ? Le côté vaseux de l’échiquier politique roumain, qu’il s’agisse du PNL ou des autres formations, n’aide personne, ni le président, ni les partis, ni les citoyens.
Précisément, comment le président gère-t-il ses rapports avec les autres partis ? Les consultations qu’il organise à Cotroceni sont-elles efficaces ?
De ce que je vois, elles sont efficaces dans certains cas, de façon ponctuelle, mais n’influencent pas réellement les principales prérogatives des partis. Quand il s’agit de leurs intérêts, le président est plus ou moins ignoré. Son style non conflictuel n’engendre pas vraiment le respect au sein de la classe politique trop habituée à l’état conflictuel, fantasmé ou réel, et à la peur du plus puissant, de l’homme qui paraît fort.
Concernant les relations avec l’Union européenne et les Etats-Unis, quelque chose a-t-il changé au cours de cette première année de mandat présidentiel ?
Ce sont des relations normales et naturelles, rien n’a vraiment changé, mais j’aurais espéré que la « germanité » du président lui apporte davantage, de façon formelle ou informelle. Pour l’instant, ce n’est pas le cas.
Klaus Iohannis a une première fois rejeté le nouveau Code fiscal avant de le promulguer. Est-il un véritable libéral ? Quelle est sa vision économique de l’avenir du pays ?
Le fait qu’il ait changé de position sur une question aux interprétations multiples – les divergences entre économistes le prouvent –, ne me semble pas être une mauvaise chose, au contraire. Il montre ainsi une capacité à la réflexion, et ne reste pas bêtement convaincu qu’il a toujours raison. Franchement, après avoir écouté sa dernière intervention devant les deux Chambres parlementaires le 16 septembre dernier sur l’instabilité législative, la santé, l’éducation et même la crise des réfugiés, je dirais que les principes fondamentaux de gouvernance politique et économique du président sont sain et respectable. Théoriquement, rien à dire ; on verra dans la pratique.
Klaus Iohannis, en quelques lignes :
Date et lieu de naissance : 13 juin 1959, Sibiu.
Etat civil : marié avec Carmen Iohannis.
Carrière :
1983 : professeur de physique au collège.
1997 : inspecteur scolaire.
2000-2014 : maire de Sibiu.
16 novembre 2014 : élu président de la Roumanie.
Propos recueillis par Carmen Constantin (octobre 2015).