Obligation de résultats, activités multiples… Dès le plus jeune âge, nombre d’enfants roumains portent un fardeau qui ne va qu’en s’alourdissant. Reportage au Collège Gheorghe Lazăr de Bucarest, l’un des plus réputés du pays.
Sous un ciel d’automne, vers 8 heures du matin, la rue Schitu Măgureanu qui longe le jardin de Cişmigiu s’anime soudain de groupes d’enfants. Ils déferlent tous vers la porte massive du Collège Gheorghe Lazăr qui domine de sa silhouette imposante le joli parc au cœur de Bucarest. * « Peut-être que pour certains, ce n’est qu’un lycée, mais pour nous, c’est un véritable mode de vie », insiste la directrice adjointe Ionela Neagoe au moment où l’on s’intéresse aux performances scolaires que cette institution offre, et surtout demande. « Cela dépend de ce que l’on comprend par performances ; ce mot, seul, ne veut rien dire. Notre établissement se donne pour mission d’encourager et d’appuyer les enfants pour un bon parcours dans la vie. C’est ça, la vraie performance », souligne-t-elle.
A 17 ans et demi, Bogdan, médaillé en chimie, biologie et maths, avoue que le succès ne vient qu’au bout d’un long parcours du combattant. Si la bataille est gagnée, alors l’effort et le stress valent toujours le coup, selon lui… « Mes parents m’ont mis pas mal de pression, mais ce fut pour mon bien, je le sais. Je dirais que par leur façon de s’impliquer dans ma scolarité, ils m’ont insufflé le goût du devoir et la force de travailler tous les jours afin d’atteindre mes objectifs. Il est vrai que parfois, ils exagèrent, comme à présent quand je n’ai plus besoin d’être stressé pour obtenir mon Bac et réussir le concours d’entrée en médecine. »
Loin d’être singulier, le cas de Bogdan est plutôt la règle au Collège Gheorghe Lazăr, véritable pépinière des élites roumaines depuis sa création. Aux murs de certains couloirs, des portraits d’anciens élèves devenus plus tard des sommités (lire l’encadré). Une tradition que cet établissement continue à perpétrer. « Le concours d’admission à Lazăr est tellement dur et la concurrence tellement serrée que pour réussir, il faut vraiment être un excellent élève », confirme la professeur de français Roxana Veleanovici.
Mais les bons résultats n’assurent pas à eux seuls une réussite bien vécue. « Une scolarité réussie repose toujours sur un triangle pédagogique sain entre l’enfant, les parents et le professeur, poursuit Mme Veleanovici, elle-même ancienne lazăriste et enseignante depuis 40 ans. Malheureusement, il arrive souvent que la famille mette trop de pression sur l’enfant en oubliant son âge et ses besoins, surtout ses besoins affectifs. »
Sur 240 adolescents qui ont passé le concours en juin dernier, seuls 30 ont été reçus. Alors rien de surprenant que le taux de réussite au Baccalauréat frôle chaque année les 100%
A 16 ans, Miruna rêve d’un tas d’expériences qu’elle se voit souvent interdire par ses parents qui disent toujours « mieux savoir ». « A mon âge, j’aimerais bien un peu plus de liberté pour profiter de mon adolescence », confesse-t-elle. De son côté, sa mère l’aurait plutôt vue dans un lycée d’art pour son talent au dessin. « Mais bon, elle a préféré Lazăr, alors… En l’absence de toute orientation professionnelle dans les écoles, c’est à nous, les parents, de prendre le taureau par les cornes et d’épauler nos enfants pour les aider à faire plus tard les bons choix », insiste Adina Rădulescu, la maman de Miruna.
Si à 16 ans un enfant peut se rebeller si l’étau se resserre trop, à 12 ans, il est trop jeune pour dire non. « Un beau jour, mes parents m’ont annoncé que j’allais passer le concours d’admission au Collège Gheorghe Lazăr. Personne ne m’a demandé si je le voulais ou pas. De toute façon, mes parents décident de tout, je parie que mon parcours scolaire est fixé de A à Z », rigole Raul, bavard et plein d’esprit.
Comme pour répondre aux angoisses de toutes ces familles en quête de succès, certains lycées de Roumanie ont même décidé de créer des classes de collège. Initiative idéale à même de servir les intérêts des parents qui souhaitent voir leur enfant réussir le très difficile examen d’admission à Lazăr : sur 240 enfants qui ont passé le concours en juin dernier, seuls 30 ont été reçus. Alors rien de surprenant que le taux de réussite au Baccalauréat frôle chaque année les 100%.
Une fois admis, pas de répit. Pour tenir le coup dans une classe d’élite, le rythme est soutenu et l’agenda de ces enfants approche celui d’un ministre. « Du temps libre, je n’en ai un peu que le week-end », déplore Daria qui, à 13 ans, se partage entre l’école, les devoirs, les cours d’anglais, d’allemand et le volley-ball. « Je pensais que dans un lycée prestigieux comme c’est le cas de Lazăr, la concurrence allait l’encourager, explique Irinel Marin, le père de Daria. Mais la pression est déjà trop forte, aussi bien de la part des professeurs qui profitent du niveau de la classe pour mettre la barre encore plus haut, que des autres parents qui ne pensent qu’à la réussite scolaire. »
« Un beau jour, mes parents m’ont annoncé que j’allais passer le concours d’admission au Collège Gheorghe Lazăr. Personne ne m’a demandé si je le voulais ou pas »
Plus que les parents et les professeurs, c’est surtout le système qui est coupable, soutient pour sa part Dana Moraru, professeur de physique. « Tant que les notes auront autant d’importance pour l’examen d’admission au lycée, les parents ne lâcheront pas prise. De plus, nombreux sont ceux qui voient dans leur enfant une prolongation d’eux-mêmes ; du coup, la pression monte et les relations se dégradent. Le parent doit comprendre que son devoir est de contribuer au développement personnel de l’enfant, sans l’obliger à suivre un chemin qui n’est pas le sien. »
Et d’être toujours là, prêt à l’écouter, ajoute Ioana-Alexandra, 16 ans : « Pour moi, il est important de parler avec mes parents que je considère comme mes amis. Je n’aime pas les adultes qui n’interrogent les enfants que sur l’école et jamais sur leur vie. » Dana Moraru ajoute qu’« en tant que professeur, j’apprécie surtout ces parents qui cherchent à s’intéresser à leur enfant en tant qu’individu ».
Facile à dire, difficile à faire dans une société où dès l’entrée à l’école, le parent percevrait son enfant surtout comme un élève. « Ce n’est pas vraiment ça, conteste Aurelia Tudose, mère de Călin, 13 ans. Je lui ai simplement proposé de se présenter à l’examen d’admission du Collège Lazăr. En tant que mère, je souhaitais le savoir intégré dans une école où il pourra acquérir connaissances et indépendance. Et je ne regrette pas ma décision, mon fils s’y plaît beaucoup. » Même si Călin a dû faire certains sacrifices… « Mes devoirs remplacent souvent les jeux vidéos et la télé. »
Les psychologues avertissent les parents : s’il y a une chose dont leur enfant a surtout peur, c’est de perdre leur amour, aussi surprenant que cela puisse paraître. « Mes parents sont mes amis, affirme Andrei, 17 ans. Même si on se dispute de temps en temps, je sais qu’ils veulent mon bien et je veux pouvoir compter sur eux et les savoir près de moi autant que possible. »
* Le Collège Gheorghe Lazăr est en fait un lycée, au sens français du terme. Il accueille les adolescents à partir de l’âge de 14-15 ans.
L’Eton roumain
Inauguré le 20 mai1890 sur décret du roi Carol I, le Collège Gheorghe Lazăr reste l’un des plus importants établissements scolaires de Roumanie. Au-delà d’un enseignement de qualité, ce sont les activités extra scolaires qui font depuis toujours sa réputation. Sa revue, par exemple, lancée en 1919, a constitué des années durant une rampe de lancement pour nombre de personnalités littéraires. Aujourd’hui encore, le lycée continue de nourrir les passions de ses élèves notamment par le biais de trois publications (en roumain, anglais et français), une troupe de théâtre, une autre de « street dance », un orchestre, et des ateliers de débats et de films.
I. L. (octobre 2015).