Entretien réalisé le mardi 8 novembre dans la matinée, par téléphone et en roumain.
Toader Popescu, architecte et urbaniste, se penche sur l’histoire des chemins de fer roumains, un sujet auquel il a consacré de nombreux ouvrages…
Quelle est la date de naissance des chemins de fer roumains et quel impact ont-ils eu sur le développement du pays ?
Si l’on parle de l’ancien royaume de Roumanie – qui n’incluait notamment pas la Transylvanie, ndlr –, le projet ferroviaire a débuté vers la fin des années 1860, la première ligne reliant Bucarest à Giurgiu ayant été inaugurée en 1869. Comparée à la région, et à l’Empire austro-hongrois en particulier, la Roumanie était légèrement en retard dans le domaine ; une voie ferrée avait par exemple été construite dès 1856 dans le Banat – qui faisait alors partie de l’Autriche-Hongrie, ndlr. Mais si l’on regarde le sud-est de l’Europe dans son ensemble, à savoir l’Empire ottoman, le décalage n’était pas notable. Les premières voies y ont été réalisées sous la pression des pays d’Europe occidentale, prêts à financer de tels projets afin d’avoir un accès commercial à la zone qui soit bon marché. En Roumanie, l’essentiel du réseau ferroviaire de base a été construit avant 1914, mais les travaux se sont poursuivis après, notamment pour relier le royaume aux territoires incorporés après la Première Guerre mondiale. Le ferroviaire a eu un impact significatif sur la modernisation du pays. La mobilité des biens a contribué à une homogénéisation bénéfique du territoire. Les chemins de fer ont permis l’extraction de ressources, allant du sel au bois et jusqu’au pétrole. Tout aussi importante, la mobilité des personnes, surtout des habitants des petites et moyennes villes, a permis d’exposer ces gens à des idées et à un style de vie auxquels ils n’auraient pas eu accès.
La Roumanie compte de très belles gares, quelle est leur histoire ?
Les premières gares ont été construites par des concessionnaires dans un style « internationalisant ». Ensuite, après le passage des chemins de fer sous autorité publique, s’en est suivie une période d’imitations, avant que naisse une architecture ferroviaire dépourvue de connotations idéologiques que j’appelle le « style CFR » – sigle de la Compagnie nationale des chemins de fer roumains, ndlr. Les gares ressemblaient à des bâtiments utilitaires ou militaires, avec beaucoup de briques apparentes et une image classicisante en termes de composition et de volumes. Des centaines de gares ont été construites dans ce style, qui n’en était pas un proprement dit. Ces bâtiments s’inscrivaient dans un air du temps et s’harmonisaient avec le paysage industriel. À quelques exceptions près, elles n’étaient plus des constructions étrangères à la ville, à la vie quotidienne, elles en faisaient partie. À ce stade, les architectes, des employés du ministère des Travaux publics, n’étaient pas des personnages très visibles ou très importants. Ce n’est qu’au début du 20ème siècle, lorsque le style néo-roumain s’impose, que l’architecte Petre Antonescu commence à créer des projets notables de gares.
Que se passe-t-il aujourd’hui avec ce patrimoine ?
Le patrimoine ferroviaire pâtit de sous-financement et d’un quasi abandon, à l’instar d’autres infrastructures. Je dirais même qu’il est encore plus vulnérable car, à la différence d’une école ou d’une habitation, le sauvetage d’une gare peine à mobiliser l’opinion. Il y a des séries remarquables de bâtiments, entre Craiova et Calafat ou entre Pitești et Curtea de Argeș qui se dégradent, car les lignes sont soit fermées, soit très peu utilisées. Il serait bon que de telles gares trouvent d’autres utilisations, elles pourraient être converties en musées, la gare d’Orsay à Paris en est le meilleur exemple, ou en logements, bien que cela soit juridiquement plutôt compliqué.
Propos recueillis par Mihaela Rodina.