Entretien réalisé le lundi 7 novembre dans l’après-midi, par téléphone et en roumain.
Face aux fluctuations des exportations ukrainiennes de céréales, la Roumanie a une carte à jouer, explique Cezar Gheorghe, spécialiste des marchés agricoles au sein du Club des agriculteurs roumains…
Comment la fluctuation des exportations de céréales depuis l’Ukraine affecte-t-elle le marché mondial ?
Les seules entités qui profitent des changements politiques concernant le corridor céréalier sont les fonds spéculatifs. Le marché physique respecte ses fondamentaux, il ne réagit pas aussi violemment. Après la sortie prématurée de la Russie de l’accord d’Istanbul signé fin juillet, les fonds spéculatifs ont augmenté le prix des céréales sur le marché boursier. Les cotations furent alors supérieures de plus de 20 dollars par rapport au prix précédent sur les marchés américains, et de plus de 18 dollars sur les marchés européens par tonne de blé – le prix d’une tonne tournant autour de 300 euros, ndlr. En revanche, sur le marché physique, la fluctuation des prix n’a été que de 10 à 12 euros par tonne. Et quand la Russie est revenue sur sa décision et a réintégré l’accord, les prix ont de nouveau chuté de 20 euros par tonne. De leur côté, les fondamentaux du marché physique restent clairs, fermes et fixes : le blé est en Russie, le maïs en Ukraine, et chacun essaie de vendre sa marchandise. La décision inopportune de la Russie de sortir puis de réintégrer l’accord n’était rien de plus qu’un coup de pression sur la communauté internationale, un rappel que Moscou veut la levée des sanctions sur le système de paiement international afin de vendre son blé contre des devises. Et non pas via un système de troc.
Existe-t-il une alternative à la dépendance vis-à-vis de la Russie ou de l’Ukraine* ?
Malheureusement, les pays d’Afrique du nord notamment ne peuvent échapper à leur dépendance vis-à-vis du bassin de la mer Noire. Et ce n’est pas seulement une question de logistique. La manière dont les transports en provenance de la Méditerranée et du bassin de la mer Noire sont organisés rend les produits de ces zones beaucoup plus compétitifs que les alternatives de tout autre origine. Le Canada, les États-Unis, l’Australie produisent peut-être moins cher, mais ils sont trop éloignés.
* Pour un résumé des parts de la Russie et de l’Ukraine sur le marché mondial des céréales et des oléagineux, lire le paragraphe suivant : « L’importance de l’Ukraine et de la Russie sur les marchés mondiaux des produits agricoles et des intrants » (source : OCDE).
Vu le contexte, la Roumanie pourrait-elle devenir un grand exportateur de céréales ?
Elle doit gagner sa place, mais elle ne peut le faire qu’avec l’aide d’investissements publics et de l’argent européen. De fait, de gros investissements sont nécessaires, de l’infrastructure ferroviaire au transport fluvial et terrestre. La Roumanie peut devenir la principale porte européenne du bassin de la mer Noire, d’autant que la guerre ne se terminera sans doute pas de sitôt. Et qu’on le veuille ou non, notre pays est en quelque sorte obligé d’occuper la place vacante des marchandises ukrainiennes destinées à l’Union européenne, surtout s’il s’agit de maïs et de tournesol. L’Europe est dépendante de l’huile de tournesol brute et du maïs ukrainiens – jusqu’au début du conflit, l’Ukraine était le troisième exportateur mondial de maïs, ndlr. Mais pour avoir une chance de s’approprier une part importante de ce marché, la Roumanie a notamment besoin d’irrigation afin de pouvoir générer un rendement de 9 à 10 tonnes par hectare pour le maïs, contre 5 à 6 tonnes produites actuellement. Concernant le blé, nous sommes plutôt limités ; la Roumanie cultive en moyenne 2,15 millions d’hectares, dont on ne peut extraire plus de 10 millions de tonnes par an. Mais pour le maïs, avec une bonne irrigation, on pourrait exporter de gros volumes. Même chose avec les graines de tournesol. La Roumanie est le plus grand producteur de graines de tournesol de toute l’Union européenne.
Propos recueillis par Carmen Constantin.