Entretien réalisé le mardi 27 septembre à Dăbuleni, dans la matinée, en roumain.
Dans le sud de la Roumanie, en Olténie, des terres de sable s’étendent sur près de 1000 km², si bien que cette zone est surnommée le « Sahara de Roumanie ». Aurelia Diaconu est ingénieure agronome et directrice de la Station de recherche et de développement pour la culture des plantes dans le sable (SCDCPN) à Dăbuleni, un centre qui réalise des expérimentations agricoles…
Comment votre centre de recherche est-il né ?
La station a été fondée en 1959, lors de la collectivisation des terres sous le régime communiste. Le sable a presque toujours existé ici. À l’origine, des forêts de robiniers recouvraient les dunes. C’était une terre pauvre, il n’y avait que de la vigne jusque dans les années 1950. Puis les terrains ont été défrichés et les dunes nivelées pour rendre le sol cultivable. Les robiniers ont été arrachés mais d’autres replantés le long des champs afin de protéger les cultures du vent. Plus de 800 personnes y travaillaient. On cultivait des pommes de terre nouvelles, des pêches, des aubergines… Grâce à l’expertise de la station, financée par l’État, les coopératives agricoles prospéraient. Les pastèques de Dăbuleni, bien adaptées au climat, le plus chaud du pays, étaient célébrées dans toute la Roumanie, et encore aujourd’hui. Un grand système d’irrigation a également été érigé pour fournir de l’eau en provenance du Danube sur 70 000 hectares.
Aujourd’hui, quels sont vos défis ?
Les sols sableux ont l’avantage d’être cultivables tout le temps et de se réchauffer rapidement. Mais sans eau, on ne peut rien faire. En 1989, après la Révolution, les parcelles ont été partagées entre propriétaires privés. Le système d’irrigation, qui n’était plus adapté pour des petites surfaces, a été abandonné. Je garde mon rêve dans un tiroir ; le projet d’un système d’irrigation moderne, automatisé et économe. Mais on manque de financements, et pour les obtenir, il faudrait que cultivateurs et autorités s’associent afin de créer une organisation et déposer un projet. Malheureusement, rien ne se passe. Le manque de fonds est un problème majeur. Nous ne sommes plus que 90 à travailler ici. On survit avec peu, grâce à nos services pour les agriculteurs, et nos ventes de semences et de récoltes sur les marchés. Nous bénéficions aussi de quelques subventions publiques. Pendant la période communiste, 3 000 hectares étaient cultivés, contre quelques dizaines actuellement.
Êtes-vous touchés par le changement climatique ?
Nous avons eu de grosses sécheresses en 2020 et cette année. Il y a déjà eu des épisodes de sécheresse, c’est la région la plus chaude du pays, mais cela ne se ressentait pas autant. On espère que ce ne sera pas la même chose l’année prochaine, car pour un agriculteur, s’il y a deux années de sécheresse consécutives, il risque la banqueroute. Quoi qu’il en soit, l’avenir n’est pas prometteur, il faut donc se préparer. Et en tant que chercheurs, nous devons avoir une longueur d’avance. Depuis quelques années, à cause du changement climatique, des températures douces apparaissent dès février, provoquant la floraison, avant des gelées en mars qui détruisent les plantations. Nous avons donc testé des variétés qui bourgeonnent plus tard et qui s’adaptent à la fois aux hivers froids et aux sécheresses : pawpaw (mangue du nord, ndlr), kiwaï (cousin du kiwi, ndlr), kakis et autres fruits exotiques. Nous avons aussi remarqué que les jujubes et les patates douces sont les cultures qui s’adaptent le mieux, et elles sont pleines de vitamines.
Propos recueillis par Marine Leduc.