Au service de l’Europe plurilingue, avec Sînziana Manta, traductrice depuis 2007 à l’Unité de la traduction roumaine auprès du Conseil de l’Union européenne…
Quelle philosophie générale ressort des textes que vous traduisez pour les instances européennes ?
Je voudrais d’abord mentionner que la traduction de l’acquis communautaire dans les vingt-quatre langues officielles européennes fait de l’Union l’organisation la plus plurilingue au monde. Une bonne traduction assure une compréhension unilatérale à travers l’Europe, et nourrit cette unité dans la diversité, à la base de la construction européenne. De fait, tous les citoyens européens ont droit aux mêmes informations, il n’y a donc pas de hiérarchie linguistique au sein de l’Union ; la version en roumain d’un document n’a rien à envier à celle en anglais ou en français. Dernièrement, à part les traductions renvoyant à des domaines clés tels que les affaires intérieures ou extérieures, la justice, la santé, les politiques sociales, l’environnement, etc., on a commencé à traduire des textes plutôt courts, portant sur des réalités immédiates, et élaborés dans un langage accessible qu’on publie sur les sites des structures européennes ou sur les réseaux sociaux. C’est aussi une façon de rapprocher les institutions européennes des citoyens.
Selon vous, quelles sont les qualités d’un bon fonctionnaire européen ?
En premier lieu, je dirais qu’il faut croire aux valeurs de l’Union, et être un grand partisan de la construction européenne. Personnellement, je suis très fière de travailler au Conseil de l’Union européenne. Ensuite, il faut avoir des compétences linguistiques remarquables. Cela ne suppose pas forcément un diplôme de linguiste ou de traducteur officiel, mais tout simplement un diplôme universitaire et une maîtrise presque parfaite de sa langue maternelle, et d’au moins deux des trois langues de travail au sein de l’Union, à savoir l’anglais, le français ou l’allemand. S’y ajoutent des compétences informatiques, car en tant que traducteurs européens, par exemple, on utilise toutes sortes de logiciels et de bases de données. Et puis, il y a la rigueur, être à même de travailler sous la pression et en équipe, être fidèle aux structures européennes et intègre. En ce qui me concerne, je suis passionnée par les recherches terminologiques, et je suis ravie de contribuer à la base de données IATE.* J’ai même commencé à inventer moi-même des néologismes pour de nouveaux concepts.
* Avec plus de 8 millions de termes couvrant les vingt-quatre langues officielles de l’UE, Terminologie interactive pour l’Europe (IATE) est la plus grande base de données terminologiques au monde (ndlr).
Quelles sont les principales différences entre la traduction de textes pour les instances européennes et la traduction littéraire ?
À la différence de la traduction spécialisée, comme c’est le cas dans mon travail, où l’on met l’accent sur le respect des termes et sur la cohérence, la traduction littéraire privilégie la créativité, le style et le rythme de la phrase. Par exemple, dans un texte littéraire, le traducteur est tenu d’éviter d’employer tout le temps le même terme. En revanche, dans le cas d’une traduction spécialisée, les synonymes sont déconseillés précisément pour ne laisser aucune place aux interprétations. La traduction d’un document à impact juridique risque de semer la confusion si les termes choisis ne sont pas exactement ceux indiqués. Un traducteur auprès des structures européennes a une grande responsabilité à ce niveau-là.
Propos recueillis par Ioana Stăncescu.