Entretien avec Ioan-Marian Ţiplic, professeur d’archéologie médiévale à l’université Lucian Blaga de Sibiu, sur l’histoire des Saxons de Roumanie…
D’où vient la présence germanique au centre du territoire de la Roumanie actuelle ?
La théorie la plus répandue, et généralement admise par la majorité des chercheurs, est qu’une migration s’est produite à l’initiative du roi Géza II de Hongrie (1130-1162, ndlr). Afin de consolider son pouvoir, il a demandé à certaines populations de coloniser les zones frontalières de son royaume, au sud et au sud-est de la Transylvanie. Dans ce contexte, on a commencé à voir apparaître de nouvelles communautés dans cette région. Les Saxons ne sont pas venus de ce qui correspond à la Saxe actuelle, c’est-à-dire l’est de l’Allemagne, mais de la région rhénane, du Luxembourg, et de la Belgique d’aujourd’hui. Ces colonies ont d’abord fonctionné selon un modèle similaire à ce que l’on retrouve en Allemagne et en France à cette époque, avec de petites cours seigneuriales qui régnaient sur des communautés rurales vassales. Plus on va vers l’ouest de la Transylvanie, plus ce type de modèle est fréquent. Plus tard, ces communautés ont bénéficié de plus de libertés. Et si les seigneurs ont conservé leur titre jusqu’au 15ème siècle à Câlnic ou à Sibiu, la vassalité a progressivement disparu dans le reste du territoire saxon dès le 14ème siècle.
Au fil du temps, comment cette population saxonne s’est-elle positionnée vis-à-vis des pouvoirs qui se sont succédé ?
Ça a été une sorte de montagnes russes, avec des hauts et des bas. Au début, établies sur décision royale, les colonies ont eu une attitude favorable à la couronne. Plus tard, dans le courant du Moyen Âge, et dans un contexte d’affaiblissement de ce pouvoir monarchique, les villes saxonnes se sont rapprochées entre elles, notamment par l’intermédiaire de l’union de guildes.* Mais de façon générale, une grande partie de l’histoire des Saxons en Transylvanie s’est constituée sous une autorité royale, qu’elle soit magyare, de la Maison de Habsbourg ou austro-hongroise, avec des épisodes durant lesquels ils ont eu des réactions opposées au pouvoir central, surtout en raison de différends économiques et religieux. Pour ce qui est des rapports entre les Saxons et les autorités roumaines, ils ont été plutôt modérés puisqu’on ne peut évidemment parler de véritables relations qu’à partir de 1918, au moment de la Grande Union. Les Saxons ont alors accepté le programme politique qui a généré l’apparition de la Grande Roumanie, avec l’intégration de la Transylvanie au royaume de Roumanie. Évidemment, les négociations ont induit certains droits offrant aux Saxons une autonomie au niveau confessionnel, étant donné qu’ils sont majoritairement protestants, ou dans le domaine de l’éducation, ainsi que quelques privilèges économiques.
* Au Moyen Âge, en Europe, la guilde était une corporation de personnes, en général des artisans, des marchands ou des artistes, partageant les mêmes intérêts (ndlr).
Quelles traces des Saxons reste-t-il aujourd’hui en Roumanie ?
Au niveau culturel, on peut parler des écoles, de la maternelle jusqu’aux études supérieures, avec l’université Babeş-Bolyai de Cluj qui a un cursus en langue allemande, tout comme les universités de Braşov ou de Sibiu. Mais je crois que l’héritage le plus évident de la communauté saxonne, c’est son empreinte architecturale, et en particulier ses églises. Il y en a plus de 300, dont environ 160 sont fortifiées. Je crois que ces constructions sont les plus visibles et, en fin de compte, les plus reconnaissables pour celui qui visite le sud de la Transylvanie.
Propos recueillis par Sylvain Moreau.
Note : le livre Karpathia de Mathias Menegoz (P.O.L., 2014, prix Interallié) décrit très bien les rapports de force et l’interdépendance entre toutes les communautés dans la région.