Entretien réalisé le mardi 10 septembre dans la matinée, par téléphone et en français (depuis Cluj-Napoca).
Comme en Roumanie, les Bulgares et les Moldaves vont bientôt retourner aux urnes pour élire leur parlement (Bulgarie) et leur président (Moldavie). Que faut-il en attendre ? Éclairage avec Sergiu Mișcoiu, professeur de sciences politiques à l’université Babeș–Bolyai de Cluj-Napoca…
La Bulgarie organise en octobre ses septièmes élections législatives en trois ans. Comment expliquez-vous cette instabilité politique et qu’attendent les électeurs de ce nouveau scrutin ?
C’est d’abord à cause de leur système électoral à la proportionnelle qui permet aux formations politiques d’accéder au parlement à partir du seuil de 4% des voix. Cela entraîne un morcèlement de l’assemblée. Il y a ensuite le système des partis, multipolaire, avec d’une part les deux grands blocs traditionnels, les conservateurs regroupés autour de l’ancien Premier ministre Boïko Borisov et les socialistes, et d’autre part un va-et-vient de nouvelles formations, modérées, populistes ou d’extrême droite qui partagent un discours anti-système. Des formations qui ont souvent réussi à créer des coalitions, soit de blocage parlementaire, soit de gouvernement, mais toutes éphémères. Je mentionnerais aussi la méfiance très ancrée envers la classe politique, et les rivalités au sein des partis qui ont empêché la consolidation d’une majorité lors des précédents scrutins. À la différence de la Roumanie, le mécanisme de gouvernance mis en place en 2023 avec une rotation de l’exécutif n’a pas fonctionné. Pour ce qui est des attentes des Bulgares, la première d’entre elles concerne sans doute la lutte contre la corruption qui figure au programme de la plupart des plateformes, qu’il s’agisse des partis radicaux nationalistes ou pro-européens et anti-système. Même si personne ne croit réellement à son aboutissement, ce sujet est une sorte d’obligation morale demeurant au premier plan de la lutte politique. Une autre thématique importante est le conflit en Ukraine, qui divise la société bulgare. La russophilie, avec ses racines historiques, culturelles et autres y est plus forte que dans d’autres pays de la région. Ce courant s’oppose aux sanctions occidentales visant la Russie et crée certaines attentes au sein de la société, dont de meilleures relations avec la Russie et une présence plus marquée de la Bulgarie au sein de l’UE pour changer le cours de la politique européenne vis-à-vis de Moscou. À cela s’ajoutent euro-scepticisme et discours populistes-nationalistes, ainsi que des sujets plus socio-économiques qui préoccupent les Bulgares, comme le pouvoir d’achat, l’inflation, ou encore la dégradation des conditions de vie.
En Moldavie, la présidente Maia Sandu semble favorite pour remporter un second mandat lors d’un scrutin doublé d’un référendum sur l’adhésion à l’UE, également prévu pour octobre. Quel est l’enjeu de cette élection ?
La particularité de ce scrutin est que Maia Sandu, donnée en effet favorite au premier tour, est confrontée à une opposition russophile plutôt émiettée. Son principal adversaire semble être Renato Usatîi, président de Notre Parti (Partidul Nostru, ndlr), qui, malgré un discours plutôt conciliant, défend un maintien de la Moldavie dans une sorte de zone grise. Quant aux socialistes, après le retrait de l’ex-président Igor Dodon et la nomination d’un nouveau candidat, Alexandr Stoianoglo, ils sont en perte de vitesse. Mais le problème pour Maia Sandu est que sa réserve de voix au second tour sera assez mince ; les autres candidats pro-européens ne sont pas crédités de plus de 1% chacun. Le résultat sera donc sans doute plus serré qu’en 2020. Ceci étant, le référendum sur l’adhésion à l’UE devrait jouer en faveur de la présidente sortante, car les électeurs seront confrontés à un choix clair : Maia Sandu et l’UE d’un côté, le candidat de l’opposition de l’autre. Cela mobilisera les électeurs opposés à un retour de la Moldavie dans la sphère d’influence russe, mais aussi les indécis, ceux qui peut-être ne sont pas d’accord avec certaines mesures adoptées par les gouvernements successifs nommés depuis 2020, mais qui comprendront que l’enjeu est essentiellement d’ordre géopolitique.
Quid de la région dans son ensemble, à quels défis est-elle confrontée au-delà de la guerre en Ukraine ?
Bien que les pays d’Europe du sud-est aient des trajectoires individuelles, la région dans son ensemble souffre, et cela s’accentuera en 2025 en raison d’une récession économique, globale certes, mais plus marquée ici à cause du dépeuplement et des difficultés à se réinventer d’un point de vue économique et industriel. C’est une région qui pâtit fortement du vieillissement des populations, et dont les économies continuent d’être orientées vers la consommation. Tous les pays de la zone sont en outre victimes de forts écarts entre les grandes villes qui s’efforcent de rejoindre les villes globales, et les petites villes et le milieu rural, sous-financés et largement délaissés. La région est enfin vulnérable aux discours de Moscou ou antilibéraux venant d’autres pays de l’est, précisément à cause de ces problèmes structurels qui se sont aggravés malgré une hausse relative du niveau de vie par rapport aux décennies antérieures.
Propos recueillis par Mihaela Rodina (10/09/24).