Entretien réalisé le lundi 16 septembre en fin d’après-midi, par téléphone et en roumain.
Après avoir évoqué les effets de la guerre et de la pandémie sur les jeunes (1), la psychologue Diana Vasiliu se penche sur l’impact des outils numériques, et notamment du smartphone, sur les nouvelles générations…
Plusieurs pays européens, dont la Roumanie, ont interdit l’utilisation du smartphone dans les écoles et collèges (2). Qu’en pensez-vous ?
Toute la question est de savoir de quels effets négatifs le smartphone est-il coupable. Du fait que les enfants passent leur temps sur TikTok au lieu d’écouter leur professeur ? À mon sens, le téléphone n’est pas la seule chose ayant le potentiel de détourner l’attention des élèves. Au-delà des effets négatifs du smartphone, il est avant tout question de veiller à instaurer de bonnes pratiques en classe. Et il revient également à l’enseignant de faire en sorte d’être stimulant pour ses élèves. Je dirais que les choses évoluent dans le bon sens ; preuve en est, beaucoup d’enseignants ont bien compris que certains repères avaient volé en éclats et qu’il fallait innover. Ils le font notamment en intégrant le smartphone et les outils numériques, et cela produit d’excellents résultats. Selon moi, le problème de fond est ailleurs ; cette jeune génération, appelée les « digital natives », est dans un état d’esprit tout à fait différent du nôtre. La génération actuelle d’adultes porte un regard extrêmement critique sur des choses qu’elle connaît mal, et surtout qu’elle ne maîtrise pas totalement. Conséquence, dans les faits, ils préfèrent les bannir ou s’en tenir à l’écart. Des positions plutôt radicales. D’une certaine façon, notre esprit d’adulte n’est pas suffisamment développé pour appréhender ce nouvel environnement comme le font nos enfants. Au lieu d’adapter notre discours au monde d’aujourd’hui, nous attendons de nos enfants qu’ils se comportent conformément à un monde qui n’existe plus. Or, c’est impossible.
(1) « Regard, la lettre » du samedi 5 mars 2022 : https://regard.ro/diana-vasiliu-2/
(2) Voir ce reportage d’Arte diffusé début septembre (3 minutes) : « Dans une école au Danemark, le retour des livres et des stylos ». Et cet article du site edupedu.ro sur les nouvelles dispositions prises en Roumanie (16/09/24).
En ce début d’année scolaire, quel message souhaiteriez-vous faire passer aux parents ?
Les parents devraient essayer de mieux comprendre ce qui arrive à leurs enfants en acceptant leur rapport accéléré au monde, lequel s’explique par les nouveaux moyens technologiques dont ils disposent. Ceci dit, ils doivent aussi mieux les accompagner dans leur manière de se rapporter à la réalité, plutôt que de simplement interdire. Nous devrions leur dire des choses du genre « allez, montre-moi une chaîne TikTok que tu aimes, quelle musique tu écoutes, ou quel influencer tu suis ». En d’autres termes, nous devrions engager un dialogue avec eux et adopter une posture d’accompagnateur plutôt que de censeur. Ainsi, nous aurons la chance de se voir accepter dans leur monde, ce qui nous permettra aussi de mieux appréhender l’environnement numérique. Autre chose, même si les téléphones et les tablettes ont réduit le temps d’attention de la génération actuelle, ils ont également augmenté leur capacité de traitement des informations. Actuellement, et grâce à la technologie, ils développent de nouvelles aptitudes. Or, les écoles ne savent pas vraiment comment capitaliser sur ces compétences inédites. Pour l’instant.
De façon plus générale, certains experts affirment que la société moderne tend à amoindrir la créativité des enfants…
J’en reviens à ce que je disais au sujet du fossé générationnel. Les différences sont bien plus importantes entre la génération actuelle de parents et leurs enfants qu’auparavant. D’où le rejet et la critique. Sauf que, même très imprégnés du monde numérique, les enfants restent des enfants. C’est surtout notre attitude dévalorisante à leur égard qui freine leur créativité, pas le smartphone. Une attitude qui les pousse à se renfermer sur eux-mêmes. Néanmoins, malgré ses défauts, l’école a commencé à prendre davantage en compte les stades de développement des enfants, beaucoup plus qu’elle ne le faisait par le passé. Les enfants d’aujourd’hui n’ont peut-être pas la même culture générale que nous, mais ils sont très connectés aux idées et aux gens, leur pensée aussi est profonde. Ils ont besoin d’être stimulés, et, en définitive, pour revenir au téléphone, si vous le leur enlevez sans les stimuler en retour, ils trouveront autre chose à faire.
Propos recueillis par Ioana Stăncescu (16/09/24).