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« Vous voulez voir la salle de classe ? »… L’institutrice a posé la question. Les deux dames ont hésité un instant. Elles sont venues là pour rencontrer l’institutrice et lui demander dans quelle matière elles peuvent donner des cours du soir à un gamin qui habite dans leur quartier. Voir la salle de classe ne leur semble pas nécessaire. Mais l’institutrice a insisté : « Venez, vous devez voir la salle de classe. Vous allez mieux comprendre ce qui se passe ici. » Elles sont donc montées à l’étage. « Voilà la classe fantôme. Nous n’avons même pas d’écriteau sur la porte comme les autres. Comme si nous n’existions pas. Ils voudraient bien oublier cette classe », lâche l’institutrice. Puis la porte s’est ouverte sur un réduit où sont alignés tant bien que mal treize bureaux. L’espace est si réduit qu’il n’y a même pas la place pour que chacun puisse s’asseoir derrière son bureau. Certains enfants doivent mettre leur chaise dans l’allée centrale qui sépare les deux rangées car leur bureau est collé soit contre le mur, soit contre une armoire. Le tableau a été mis sur un mur de côté et les élèves ne lui font pas face faute de place. L’étroitesse de cette salle de classe, si on peut l’appeler comme ça, contraste avec les autres salles, vastes et aérées, le long du couloir. « Mais c’est dans cette classe qu’on les met tous ensemble, eux », nous dit l’institutrice. Eux, ce sont les enfants roms d’une école de Bucarest, les « colorés » comme disent certains parents qui n’ont pas envie que leur progéniture plus blanche les côtoie. Officiellement, l’école est mixte et ne fait pas de ségrégation mais dans la réalité, derrière le portail, la séparation a bien lieu. Dans cette classe, même les enfants qui ont appris sérieusement à lire et à écrire se retrouvent aux côtés de ceux qui commencent à peine la lecture. Les livres arrivent avec retard. Parce que certains dans l’école – mais pas leur institutrice qui se débat tant bien que mal pour égayer la salle –  considèrent qu’un enfant rom n’a pas vraiment d’espoir d’aller plus loin et n’a pas droit même à une seule chance. Surtout s’il arrive souvent avec des vêtements usés, la faim au ventre. Parce que des parents d’enfants « non colorés » préfèrent la séparation. Et pourtant dans cette classe, il y a des enfants qui rêvent de voyager, d’apprendre l’anglais, qui aiment les mathématiques, cherchent à trouver des livres où ils peuvent pour « lire des histoires », même s’ils n’ont pas d’électricité à la maison ou d’eau chaude pour se laver. Des enfants qui pourraient, si on leur donnait juste une chance, réussir comme le fit une adolescente rom roumaine qui elle aussi a grandi dans ces conditions difficiles : cette adolescente devenue adulte, Alina Şerban, a obtenu l’année dernière le prix du meilleur étudiant roumain en Grande-Bretagne. Elle a terminé avec succès un master à la plus prestigieuse école de théâtre de Londres, la Royal Academy of Dramatic Art. Combien de talents comme elle auraient pu éclore si on ne les avait pas cantonnés à ces classes cagibi, aux murs étroits des préjugés et des idées reçues ?

Isabelle Wesselingh est l’ancienne chef du bureau de l’Agence France-Presse à Bucarest (octobre 2013).

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