Décryptage du contexte politique actuel en Roumanie avec le sociologue Sebastian Lăzăroiu*…
Selon vous, que va-t-il se passer ? Qui seront les gagnants et les perdants de la crise qui divise la coalition au pouvoir ?
C’est encore difficile à dire. L’électorat du PNL ne souhaite aucune collaboration avec le PSD. Mais dans le parti, la plupart des dirigeants locaux qui voteront au congrès du 25 septembre approuvent un gouvernement minoritaire du PNL soutenu par le PSD, plutôt que de continuer la coalition avec USR-PLUS. Ils ont une vision étroite de la situation, ils ne prennent pas en compte des questions cruciales telles que les réformes salariales, les retraites, l’éducation, cela ne les intéresse pas. Ils se disent qu’il suffit d’asphalter les routes dans les campagnes pour que les gens votent pour eux. Si les dirigeants nationaux suivent cette logique, nous aurons un gouvernement minoritaire du PNL avec le soutien du PSD. Et si la coalition avec USR-PLUS demeure, il faudra résoudre le cas du Premier ministre Florin Cîțu. USR PLUS ne veut plus de Cîțu. Ils l’ont clairement montré en retirant leurs ministres du gouvernement.
* À lire ou à relire, notre premier entretien avec Sebastian Lăzăroiu du 19 décembre dernier (où sont notamment expliqués les sigles des partis) : https://regard.ro/sebastian-lazaroiu/
Comment se fait-il que Florin Cîțu n’ait pas réussi à stabiliser la situation ?
On a tendance à dire que Florin Cîțu n’a aucune expérience politique, qu’il a un tempérament colérique, impulsif, ce qui ne l’aide pas à diriger un gouvernement de coalition au sein duquel il doit être modéré et négocier avant de prendre des décisions. D’après moi, Cîțu ne devrait pas être la seule cible, car le PNL l’a toujours soutenu, y compris lorsqu’il a pris la décision de limoger le ministre de la Justice. Le protocole qui avait permis d’apaiser la crise printanière, depuis le limogeage du ministre de la Santé Vlad Voiculescu, a été violé. De son côté, USR PLUS ne s’est jamais comporté de façon imprévisible. Mais il n’a pas eu d’autre issue que de quitter le gouvernement. Et encore une fois, il ne faudrait pas uniquement blâmer Cîțu. À ses côtés, les dirigeants du PNL auraient pu faire une analyse rationnelle des conséquences de ces décisions. Peut-être les libéraux ont-ils tout prémédité, ils savaient ce qui allait arriver et ils sont allés de l’avant. Mais je ne crois pas, un gouvernement minoritaire ne peut pas résister, et le PNL n’en finira pas de plonger. Aux prochaines élections parlementaires (en 2024, ndlr), il risque de ne même pas arriver à 10% des suffrages. En d’autres mots, le PNL ressemble à un parti en voie de dissolution. De son côté, le PSD est tout à fait disposé à soutenir un cabinet minoritaire, ce n’est pas dans son intérêt de voir le gouvernement actuel tomber. Mais je ne vois plus Florin Cîțu à sa tête. Il est devenu un fardeau pour le PNL, et pour le PSD. Les sociaux-démocrates pourraient donc accepter de participer à un gouvernement minoritaire, mais avec un autre Premier ministre.
Quelles conséquences cette crise pourrait-elle avoir sur les investissements promis dans la santé, l’éducation… ?
Elle pourrait d’abord secouer le marché des changes. Mais si l’on regarde un peu plus loin, comme l’a fait l’agence de notation Fitch qui a publié un rapport cette semaine, les inquiétudes portent en premier lieu sur l’avènement d’un gouvernement minoritaire. Parmi les réformes faisant partie du PNRR (Plan national de relance et de résilience, ndlr) de 30 milliards d’euros, il y a celles des retraites, des salaires, la professionnalisation de l’administration, etc. Mais elles seront impossibles à mettre en place avec un gouvernement minoritaire, quelle que soit sa couleur politique. Or, l’Union européenne a clairement conditionné son financement. Le PNL se trompe en pensant qu’il gagnera la partie en mettant un peu d’asphalte et de béton par-ci, par-là… Il n’aura même pas l’argent pour le faire.
Propos recueillis par Carmen Constantin.