Echéances non respectées, corruption suspectée et gouffre financier, l’autoroute de Transylvanie cumule les problèmes. Mais aussi les richesses d’autres époques.
Dix ans après la signature du premier contrat pour sa construction, l’autoroute qui doit traverser les Carpates et les vastes forêts de Transylvanie a déjà coûté 1,4 milliard d’euros. Et seule une soixantaine de kilomètres sur les 450 initialement prévus sont praticables. D’un autre côté, ce chantier titanesque, puits sans fond pour les dépenses publiques, est aussi devenu une source de grandes découvertes. Depuis 2004, les archéologues s’y intéressent tout particulièrement.
« C’est une chance extraordinaire pour nous car sans ce projet d’infrastructure, nous n’aurions jamais pu avoir accès à de telles fouilles », confirme Cristian Schuster, chercheur à l’Institut d’archéologie de l’Académie roumaine Vasile Pârvan. En 2010, cet archéologue chevronné a dirigé les fouilles sur un secteur du tronçon Deva-Șoimuș. « Nous supposions depuis longtemps que cette région cachait de nombreux témoignages des populations qui l’ont investie au fil des siècles, mais nous ne nous attendions pas à des découvertes aussi spectaculaires », ajoute-t-il.
Ossements, fragments de céramique, ustensiles et armes en métal, mais aussi fondations de villes entières ont été mis au jour ces dernières années, couvrant une période s’étendant du Néolithique (période de la préhistoire où l’homme accède à une économie productive, cf. Larousse) au Moyen-âge en passant par l’Antiquité. Sur un kilomètre de fouilles, près du village de Șoimuș, l’équipe de Cristian Schuster a fait ressurgir plus de 1 500 objets. « Nous étions treize archéologues accompagnés d’une centaine d’ouvriers et nous ne nous en sortions pas », se souvient-il.
Un enthousiasme partagé par le directeur du musée national Brukenthal de Sibiu, Sabin Adrian Luca. Ses équipes se sont occupées d’une portion d’une quarantaine de kilomètres qui doit relier Sibiu à la frontière hongroise – à ce niveau, il ne s’agit pas de l’autoroute de Transylvanie mais du quatrième corridor paneuropéen de transport. « Je travaille depuis 1992 sur le site de Turdaș. Jusqu’à présent, nous n’avions accès qu’à une très petite surface. Aujourd’hui, grâce au chantier de l’autoroute, nos fouilles s’étendent sur onze hectares et surtout, avec les outillages des chantiers, nous avons pu creuser bien plus en profondeur que lors des fouilles classiques, précise Sabin Adrian Luca. Ici, nous avons découvert une cité datant du début du Néolithique avec un système de fortification s’étalant sur plus de deux cents mètres de largeur sur certaines portions ; ailleurs, des fragments gravés de symboles qui pourraient prouver l’existence de l’écriture durant le Néolithique. C’est phénoménal. »
Eternelle zone de transit
Longtemps méconnue pour les archéologues, la région transylvaine était un passage très emprunté par les populations en route vers l’Ouest du continent européen, et ce dès la période néolithique. Les ressources naturelles de ses sous-sols, comme le sel ou les métaux, ont aussi permis l’établissement d’une grande partie de ces peuples. « La présence de vastes agglomérations sont une découverte importante qui montre qu’à l’instar de l’Europe occidentale, les premières agglomérations ou proto-villes ne sont pas antiques, mais protohistoriques (période intermédiaire entre la préhistoire et l’histoire, ndlr), note l’archéologue français Laurent Carozza, responsable d’un projet international de fouilles dans le Delta du Danube. Il y a actuellement un grand intérêt pour comprendre la « néolithisation« et appréhender ce qui se passe dans cette zone qui était, jusqu’à quelques années encore, mal documentée. »
La quantité d’objets récupérés pose toutefois un problème aux archéologues roumains. Une fois sortis de terre, il faut les nettoyer, les restaurer et les entreposer. Ce travail minutieux demande à la fois une main-d’œuvre qualifiée et des technologies modernes, et donc coûteuses. Or, cette partie du travail archéologique n’est pas soutenue. La question du financement se pose donc. « Environ 15% de ce qui est découvert peut être exposé dans un musée, explique Cristian Schuster. Le reste doit être entreposé. Mais où ? A l’Académie par exemple, nous aurions besoin de centaines d’étagères. Mais les fonds manquent. » Pour le moment, les restes mis au jour lors de ces fouilles sont entreposés et exposés, pour certains d’entre eux, dans les musées d’histoire des départements où les découvertes ont eu lieu. L’idée de la construction d’un musée spécifique a été évoqué. Mais là encore, les fonds manquent.
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Quand il s’agit de fouiller
Les fouilles archéologiques qui précèdent les gros chantiers d’infrastructures, comme la construction d’autoroutes ou de voies ferrées, sont régies par des lois spécifiques dans l’ensemble de l’Union européenne. En général, le maître d’œuvre a l’obligation de faire appel à une équipe d’archéologues accréditée par l’Etat avant de débuter un chantier. Il s’agit de fouilles dites « préventives », en opposition aux fouilles « systématiques » qui sont financées par des fonds publics.
La question temps
Face à la lenteur des travaux de l’autoroute de Transylvanie, les autorités ont cherché au fil des années toute sorte d’excuses pour se justifier vis-à-vis de l’opinion publique. Elles ont notamment accusé les archéologues d’être un peu trop minutieux… Mais les délais réservés aux fouilles sont négociés dans le contrat signé avec le maître d’œuvre et ont rarement été dépassés par les chercheurs. Par ailleurs, la richesse historique de ces sous-sols ne peut être minimisée. Si souvent le tracé de l’autoroute correspond aux chemins de migration des populations de la période néolithique, c’est qu’il y a 5 000 ans, ces routes étaient déjà considérées comme étant les plus sûres.
Jonas Mercier (décembre 2014).