La psychologie est un domaine qui sera régulièrement traité au sein des entretiens de « Regard, la lettre ». À continuation, un premier constat de la psychologue clinicienne Ruxandra Sersa sur son expérience à Bucarest…
Quelles sont les pathologies psychiques les plus courantes des patients adultes qui viennent vous voir ?
C’est toujours une souffrance qui pousse vers le cabinet du psychologue, même si de nos jours, il joue aussi le rôle du confident, selon le modèle du prêtre de jadis. À la différence des hystéries et névroses fréquentes au début de l’ère contemporaine, soit à partir du début du 19ème siècle, les pathologies actuelles renvoient plutôt aux troubles de la personnalité, aux attaques de panique, aux anxiétés et aux affections psychosomatiques. Ces dernières concernent tous les soucis physiques que le médecin n’arrive pas à guérir, migraines, troubles des règles, maux d’estomac, acné, eczéma, infertilité, aggravés ou générés par des facteurs émotionnels, notamment le stress et l’anxiété. Quand notre cerveau produit trop d’excitation au sens large, celle-ci reste alors bloquée quelque part dans le corps. À Bucarest, j’ai des patients de tous âges. Parallèlement aux maux que je viens de décrire, la plupart des personnes âgées viennent plutôt pour une souffrance ponctuelle, peur de perdre la mémoire, insomnie, solitude, moins pour se remettre en question. Les jeunes, eux, consultent pour apaiser leurs craintes. Contrairement aux générations antérieures, si la jeunesse roumaine vit en général de façon plus confortable, elle me semble beaucoup plus fragile.
Quelles sont les causes principales de ces pathologies ?
Je trouve qu’ici les individus ressentent le besoin très fort de montrer leurs compétences, leurs qualités. Sans doute plus qu’avant, ils souhaitent se faire remarquer pour être appréciés et aimés, comme quand ils étaient enfants. Ils impriment alors un rythme très alerte à leur vie, ils vivent dans l’excès, consomment beaucoup et trop vite, et sont souvent proches de l’épuisement mental et physique. La frénésie consumériste fait pas mal de dégâts au niveau psychologique. Mais il y a aussi la diminution du rôle de la communauté qui provoque une fragilisation des individus. Un proverbe dit qu’il faut un village entier pour élever un enfant. Or, aujourd’hui, la coutume des rituels, l’entre-aide, les rencontres entre voisins sont moins présentes. Il n’y a plus, ou beaucoup moins, cette communauté qui fonctionnait comme un filet de sécurité.
Comment analysez-vous l’attitude des Roumains face à la crise sanitaire ?
Comme d’autres peuples latins, les Roumains se positionnent d’une façon particulière face à l’autorité. Ils ne la rejettent pas entièrement, mais ils essaient souvent de contourner les règles, surtout si leurs actes ne semblent pas avoir de conséquences négatives dans un premier temps. À la différence de l’Allemand, par exemple, le Roumain n’aime pas se soumettre, a priori il ne pense pas que l’autorité de l’État soit capable de le protéger. Cela peut se comprendre vu l’histoire de notre pays. Du coup, sans désobéir entièrement aux règles mises en place, il se permet de petits gestes censés montrer aux autres qu’il a toujours son mot à dire ; cela va des blagues sur les attestations de déplacement, aux remarques à la caissière du supermarché. C’est sa façon à lui de sortir victorieux de ce rapport de force avec l’autorité.
Propos recueillis par Ioana Stăncescu.