Mi-novembre, la pro-européenne Maia Sandu a remporté l’élection présidentielle en République de Moldavie. Décryptage de cette victoire et de ses conséquences avec Armand Goșu, maître de conférences en sciences politiques à l’Université de Bucarest…
Quels défis attendent la présidente-élue Maia Sandu ?
Les socialistes, qui contrôlent le parlement, vont tenter d’isoler Maia Sandu dans son fauteuil de présidente, voire essayer de la suspendre ne serait-ce que quelques heures, selon un scénario déjà mis en œuvre par le passé, pour qu’un président par intérim promulgue des lois ou adopte des décisions que Maia Sandu n’accepterait pas. Par ailleurs, les socialistes pourraient de nouveau transférer au parlement une partie des prérogatives octroyées au président après la crise politique de l’été 2019 comme, par exemple, la nomination du chef du Service des renseignements et de la sécurité. *
* Et c’est précisément ce qu’il s’est passé ce jeudi. Le parlement moldave a adopté un projet de loi pour que le Service des renseignements et de la sécurité passe sous son contrôle (ndlr).
Comment éviter ce genre d’impasse ?
La solution idéale serait l’organisation d’élections législatives anticipées qui permettent la formation d’une majorité réformatrice, à savoir une coalition autour du Parti Action et Solidarité (PAS, ndlr) de Mme Sandu, et d’un gouvernement déterminé à mettre en place des réformes en faisant équipe avec la présidente. Or, la coalition actuellement au pouvoir, dominée par les socialistes, va tout faire pour reporter ces élections. Pour les socialistes, il est vital que la vague d’enthousiasme suscitée par la victoire de Maia Sandu retombe, et que le PAS chute dans les sondages. Pour le président sortant Igor Dodon, il est aussi essentiel de maintenir la domination des socialistes au sein de la gauche pro-russe et nostalgique de l’URSS, en faisant également chuter la cote de popularité de Notre Parti, la formation eurosceptique de Renato Usatîi, arrivé troisième à l’élection présidentielle. Si des élections anticipées sont organisées en avril-mai 2021, la victoire reviendra certainement aux forces réformatrices réunies autour d’une coalition de centre droit, incluant le PAS, le Parti Plate-forme vérité et dignité (PPDA, ndlr) d’Andrei Năstase, et un bloc formé de partis favorables à une union avec la Roumanie. Si les élections sont organisées à l’automne 2021 voire au printemps 2022, il est possible que la cote de sympathie de Maia Sandu baisse et que des forces politiques anti-réformistes, anti-européennes et pro-russes l’emportent. Les socialistes contrôlent une bonne partie des médias moldaves, ils pourraient facilement faire basculer les préférences de l’électorat.
Et si les élections se tiennent à terme, c’est-à-dire au printemps 2023 ?
Je vois alors trois scénarios possibles. Le premier serait que les socialistes et leurs satellites contrôlent la majorité parlementaire et le gouvernement, ce qui entraînera des luttes frontales avec Mme Sandu. Le second, qu’une majorité s’articule autour des socialistes et du bloc pro-européen ACUM – formé du PAS et du PPDA, ndlr –, à l’instar de celle qui avait déjà fonctionné pendant cinq mois en 2019. Les pouvoirs seraient alors partagés entre ces deux forces politiques. Troisième scénario, une nouvelle majorité est formée autour du bloc ACUM, avec le soutien des démocrates (PDM, ndlr) de Pavel Filip, des députés ex-PDM toujours sous l’emprise de l’oligarque en fuite Vladimir Plahotniuc, et des députés du Parti Șor – droite nationaliste russophile, ndlr. Il s’agirait d’une solution « immorale », d’un gouvernement soutenu par un ramassis d’élus, de partis et de personnages controversés, aux côtés desquels on ne peut s’afficher sans perdre son capital électoral. Mais il est impossible à ce stade de dire quel sera le scénario le plus probable.
Propos recueillis par Mihaela Rodina.