Entretien réalisé le mardi 16 avril dans la matinée, par visioconférence et en roumain (depuis Chișinău).
Depuis le début de la guerre en Ukraine, plusieurs dizaines de paroisses orthodoxes de Moldavie se sont éloignées de la Métropole de Chișinău et de la Moldavie, rattachée au Patriarcat de Moscou et de toute la Russie, pour se placer sous l’égide de la Métropole de Bessarabie*, rattachée à l’Église orthodoxe roumaine. Explications avec le chercheur et docteur en théologie Romeo Cemîrtan…
Pouvez-vous revenir sur la situation des églises orthodoxes en Moldavie avant l’invasion russe en Ukraine ?
Après l’effondrement de l’URSS en 1991, toutes les anciennes républiques soviétiques sont devenues indépendantes mais, de facto, la Russie n’a pas reconnu la souveraineté de ces États. Elle exerce encore une influence sur ces territoires, qu’elle soit économique, culturelle mais aussi spirituelle et ecclésiastique. Après l’indépendance de la Moldavie (en 1991, ndlr), la Métropole de Bessarabie a également été reconnue officiellement. À partir de là, un conflit a éclaté entre l’Église roumaine, liée à la Métropole de Bessarabie, et l’Église russe, représentée par la Métropole de Chișinău qui contrôle aujourd’hui près de 80 % des paroisses orthodoxes moldaves. Pour le Patriarche russe Cyrille, la Moldavie fait partie de la « Sainte Russie » et du monde russe. Cela reste des concepts, mais ils sont utilisés pour justifier l’expansion russe, sa pensée impérialiste. Ainsi, nous pouvons dire que la Moldavie est partiellement sous occupation russe d’un point de vue militaire et politique, avec la présence de soldats russes en Transnistrie, mais qu’elle l’est aussi d’un point de vue ecclésiastique et idéologique à travers la Métropole de Chișinău. Et cela porte atteinte à l’indépendance de la Moldavie.
* Bessarabie : définition (source : Larousse).
Pourquoi des paroisses décident de se séparer de la Métropole de Chișinău et de rejoindre la Métropole de Bessarabie ?
Au cours des deux dernières années, près de cinquante paroisses ont en effet rejoint la Métropole de Bessarabie sur plus de 1300 paroisses orthodoxes sous le contrôle de la Métropole de Chișinău, en protestation contre l’Église russe qui soutient le Kremlin et l’invasion de la Russie en Ukraine. Certains se demandent pourquoi il n’y en a pas plus et pourquoi cela prend du temps. Il faut savoir que l’Église orthodoxe est une Église traditionnelle plutôt inerte qui a toujours été guidée par les circonstances politiques. Comme dans l’armée, c’est une structure rigide. Il y a des règles internes strictes, et la désobéissance est punie. La situation ambiguë sur le front incite les prélats à être très prudents, et à ne pas se précipiter dans le choix de leur camp. Même si de nombreux prêtres moldaves ne sont pas d’accord avec l’invasion, ils se sentent obligés de se taire et d’accepter la situation. De son côté, l’Ukraine a commencé un processus d’indépendance dès 2018, tant politiquement que religieusement. L’Église orthodoxe d’Ukraine a ainsi été officiellement reconnue comme autocéphale en 2019 par le Patriarcat œcuménique de Constantinople, et cela contre l’avis de Moscou. La perte de ce territoire, en termes idéologiques, aurait incité l’Église orthodoxe russe à soutenir la guerre du Kremlin.
La Métropole de Chișinău pourrait-elle se séparer du Patriarcat de Russie, et pourrait-il y avoir une Église autocéphale en Moldavie ?
Il se peut que la Métropole de Chișinău se sépare un jour du Patriarcat orthodoxe russe. Certains prêtres le souhaitent. Mais pour le moment, je ne vois pas de volonté de la part de l’Évêché. Si ce dernier parle de la guerre et évoque un désir de paix, il ne qualifie pas la Russie d’agresseur. Quant à l’idée d’une Église autocéphale en Moldavie, il faut savoir qu’il existe deux autres Églises orthodoxes moldaves que l’on peut qualifier d’indépendantes, mais la loi sur les églises ne leur permet pas de s’enregistrer officiellement.
Propos recueillis par Marine Leduc.
Pour aller plus loin, lire cet article de l’Observatoire international du religieux : « L’orthodoxie chrétienne en Moldavie : politisation, tensions et rapprochements, au-delà de l’agenda géopolitique international », par Davide N. Carnevale (septembre 2022).