Entretien réalisé le jeudi 18 avril en début d’après-midi, par téléphone et en roumain.
Octavian Berceanu est expert en politiques publiques liées à l’environnement. Il est actuellement représentant de la Banque européenne d’investissement pour la reconstruction du domaine forestier de la république de Moldavie. Dans cet échange, il se penche sur les eaux usées en Roumanie…
Selon la Directive sur le traitement des eaux urbaines résiduaires, seulement 12% de celles-ci seraient correctement traitées en Roumanie, ce qui est très en-deçà de la moyenne européenne qui s’élève à 76%. Comment analysez-vous ces données ?
En tant qu’ancien responsable de la Garde nationale de l’environnement, j’ai bien suivi le sujet jusqu’en 2023 et, notamment, l’état de l’infrastructure. Je l’ai appréhendé de manière pratique, sur le terrain. Je m’occupais notamment des vérifications et de l’application d’amendes en cas de situations irrégulières. Première constatation, les pénalités sont trop rares au vu de la situation qui est assez sombre. Prenez les stations d’épuration ; beaucoup ne fonctionnent pas ou très mal. C’est le cas à Bucarest, par exemple. La station qui récupère les eaux usées, à Glina, ne fonctionne que partiellement. Le principal souci est que nous ne disposons pas de registre indiquant ses activités en temps réel. À partir de là, il est assez compliqué de savoir à quel moment les eaux usées sont déversées directement dans les rivières. Heureusement, les citoyens commencent à s’emparer du sujet, comme à Rovinari où les eaux usées contournent littéralement la station. Il y a aussi des investissements prévus, comme à Glina notamment, où la station devrait voir sa capacité augmenter prochainement.
Y a-t-il des différences entre le milieu rural et le milieu urbain ?
C’est le cas, oui. En milieu rural, des travaux portant sur les canalisations ont été entrepris permettant de raccorder les habitations au réseau. Sauf que ces canalisations ne sont pas bien faites, les diamètres sont trop étroits, d’autres ne disposent pas d’une pente suffisante, parfois ce sont les pompes qui ne marchent pas comme il le faudrait. Conséquence, il y a des déversements en bout de ligne ou même sur le parcours avant d’arriver à la station d’épuration. Ce sont pourtant de gros investissements grâce à des fonds européens, en général. Qu’il s’agisse du milieu urbain ou rural, nous sommes confrontés soit à des pertes sur le parcours, soit à des stations inefficaces. En ville, il est fréquent qu’elles ne correspondent pas à l’expansion démographique et industrielle, c’est un aspect important qui concerne à la fois la quantité d’eaux usées mais aussi la qualité du traitement. Exemple, le complexe résidentiel Cosmopolis – en périphérie de la capitale, au nord, ndlr – où les odeurs sont pestilentielles car les bassins débordent. C’est le cas aussi dans beaucoup d’autres endroits. Sans compter qu’en milieu rural, si les bassins des stations peuvent servir à stocker les résidus, il arrive souvent qu’ils partent ensuite en camions citerne vers des rivières ou des champs agricoles…
Dans ces conditions, il est difficile d’envisager des écosystèmes et des rivières propres…
Les rapports européens sont en effet sans appel ; l’épuration de l’eau en Roumanie est mauvaise ou ne se fait pas. On observe également, dans les rivières du pays, des substances qui témoignent de problèmes liés au réseau de collecte et de distribution des médicaments. De nombreux agents économiques, gros, petits, publics ou privés, déversent directement des huiles ou d’autres produits chimiques dans les rivières sans passer par les stations d’épuration, cela afin de faire des économies. Autre cas connu, la décharge de Vidra (département de Vrancea, ndlr) où a été découvert l’équivalent de plusieurs citernes de produits toxiques déversés dans une canalisation en aval de la station d’épuration, le tout se retrouvant dans la rivière Argeş. Les conséquences sur la santé sont désastreuses, d’autant qu’en aval de Vidra, il y a beaucoup de serres agricoles. L’impact est aussi dramatique pour les écosystèmes aquatiques, la faune et la flore sont directement affectés. Il est difficile pour les espèces de s’adapter si ce n’est au niveau microscopique, je pense ici aux bactéries et aux algues qui accaparent tout l’oxygène et les nutriments. Au final, l’eau potable est touchée, notre tourisme également. Sans oublier qu’en bout de course, tout arrive dans le delta du Danube, là où l’impact est le plus important. Autre problème, les résidus des stations d’épuration eux-mêmes, dont les quantités sont énormes. Il faudrait les incinérer ou bien les traiter afin de réduire la quantité de métaux lourds et de substances dangereuses. Toutes ces questions sont très peu prises en compte. Enfin, je voudrais aussi mentionner l’impact des eaux résultant de l’exploitation des mines et des activités pétrolières qui polluent les rivières de façon continue. Là non plus, il n’y a aucun contrôle, et le gouvernement n’en parle guère, hormis lorsqu’un accident intervient.
Propos recueillis par Benjamin Ribout.