Entretien réalisé le mardi 23 avril en fin de matinée, par téléphone et en français.
Après quatre années passées dans une librairie à Cayenne, en Guyane, Mathieu Fabre a rejoint en 2021 l’équipe de Kyralina, la librairie française de Bucarest. Une décision qui lui a permis de nourrir sa passion pour la littérature et de découvrir les auteurs roumains contemporains…
Que pensez-vous de la littérature roumaine contemporaine traduite en français ?
Aujourd’hui, la littérature roumaine contemporaine commence tout juste à s’éloigner enfin des thématiques habituelles que l’on retrouvait dans les livres écrits juste après la chute du communisme. Ce qui me frappe, ce sont ces voix singulières ainsi que ces styles très distincts qui émergent et renouvellent beaucoup la littérature roumaine traduite en français. Je pense, par exemple, à Cristian Fulaş et à son roman Iochka, traduit du roumain par Florica et Jean-Louis Courriol pour la maison d’édition québécoise La Peuplade. Ou encore à l’écrivaine suisse d’origine roumaine Dana Grigorcea et à son roman Ceux qui ne meurent jamais ; il y a chez elle un côté un peu gothique que je n’avais pas observé jusque-là dans la littérature roumaine. J’ai aussi beaucoup aimé Andreea Răsuceanu et son roman Une forme de vie inconnue, traduit du roumain là encore par Florica Courriol et publié en français par Le nouvel Attila. Ce livre adopte des canons de narration un peu plus classiques, mais dans un style très original. Je voudrais aussi mentionner l’écrivain moldave Iulian Ciocan dont j’apprécie l’imaginaire et qui témoigne, selon moi, d’une normalité un peu altérée, parsemée d’humour. À la différence de la littérature française contemporaine qui est, à mon goût, trop centrée sur les pensées de l’auteur, sur les petites vies et les traumatismes personnels, les romans roumains, en tout cas ceux traduits en français, embrassent beaucoup plus de choses et arrivent à transgresser la petite histoire pour s’emparer de la grande.
Quels sont vos coups de cœur personnels, toutes nationalités confondues ?
Une auteure qui me tient beaucoup à cœur et dont j’ai lu tout ce qui a été traduit en français est la Biélorusse Svetlana Alexievitch. Pour moi, elle est totalement inclassable, à mi-chemin entre le journalisme et la littérature. J’aime également l’écrivain et journaliste polonais Ryszard Kapuściński que j’ai découvert grâce à l’un des clients de la librairie pour laquelle je travaillais en Guyane. Autre valeur sûre à mes yeux : les romans de Romain Gary, dont le style n’a de cesse de m’épater. Sans oublier les œuvres de l’auteur cubain Leonardo Padura. Parallèlement, je prends aussi du plaisir à lire des polars, des essais sur les sciences humaines et des BD. Et je passe également du temps à faire des recherches, à fouiller dans des catalogues en quête de titres et d’auteurs. C’est l’un des aspects de mon métier que j’apprécie.
Précisément, qu’est-ce qui fait que vous aimez tant le métier de libraire ?
Nous sommes nombreux à aimer lire, beaucoup seront d’ailleurs de meilleurs lecteurs que moi, plus cultivés. Mais pour être libraire, il faut aussi rechercher le contact humain, sans quoi on ne peut pas être un bon libraire. Dans ce métier, vous êtes en quelque sorte un passeur entre des livres qui peuvent marquer une vie, et des lecteurs de tous âges, certains très jeunes, d’autres plus âgés. Vous leur mettez à disposition l’équivalent d’une nourriture spirituelle ; c’est certainement un peu pompeux de m’exprimer ainsi, mais je crois qu’il y a du vrai là-dedans, en tout cas c’est le rôle que doit jouer un libraire, d’après moi. Et puis, autre aspect essentiel, il se crée autour d’une librairie toute une communauté, je trouve ça très beau. C’est comme un repère pour les gens du quartier. Certains viennent simplement pour discuter avec moi, ils m’apportent des chocolats à Noël ; d’autres veulent me mettre au courant de leurs derniers coups de cœur littéraires. Je le mentionnais, j’adore aussi fouiner et faire des découvertes. Je procède à des recherches thématiques avec le logiciel de la base de données de la librairie. J’y scrute des noms d’auteurs, des occurrences de pays, je note ce qu’il s’y passe, je fais des listes et j’accumule des tonnes de références. Mais au final, je dois bien admettre que parmi tous les titres que j’ai lus et appréciés, j’en dois une bonne partie à mes clients.
Propos recueillis par Ioana Stăncescu.