La régionalisation (ou décentralisation de l’Etat) est l’une des réformes administratives les plus attendues de l’année 2013. Coordonnée par le ministre du Développement régional et vice-premier ministre Liviu Dragnea, il s’agit d’un processus complexe, délicat à mettre en place et qui suscite bien des interrogations. Décryptage avec le sociologue Dumitru Sandu, également coordinateur du Conseil consultatif pour la régionalisation (CONREG).
Regard : Quel est le but de la régionalisation ?
Dumitru Sandu : On dit souvent qu’elle permettra d’augmenter l’absorption des fonds européens. Mais c’est juste une partie de la réponse. La raison principale de cette réforme est surtout d’améliorer le fonctionnement de l’administration publique roumaine, car la maigre absorption des fonds européens résulte d’abord de la manière dont est organisée l’administration publique. Une organisation plutôt mauvaise qui a des répercussions sur la qualité des services publics, la santé, l’éducation… Tout cela maintient le décalage entre les régions.
En 1998, la Roumanie a déjà mis en place les « régions de développement » (regiunile de dezvoltare) afin de réduire les disparités économiques, qui se sont pourtant accentuées. Comment ces « nouvelles » régions pourront-elles faire mieux ?
En 1998, huit régions de développement ont effectivement été créées, mais elles n’ont pas été efficaces car elles n’ont jamais eu de statut administratif, et donc aucun pouvoir réel. Cette constatation nous amène à un autre problème de taille pour la Roumanie : le manque de coopération entre les départements. Seule une nouvelle structure institutionnelle pourra faciliter les échanges entre les départements. Nous avons absolument besoin d’une matrice qui les regroupe et les lie.
Pourquoi avoir choisi de prendre la régionalisation polonaise comme modèle ?
Ce n’est pas un hasard. Nous ne pouvions pas nous inspirer de la Grande-Bretagne ou de l’Allemagne, car ce sont des sociétés totalement différentes. La Pologne ressemble beaucoup à la Roumanie sur différents points : hétérogénéité de la population, disparités entre l’est et l’ouest, écart de développement entre la capitale et le reste du pays. Le choix de la Pologne a été simple, d’autant plus que les Polonais ont construit un modèle efficace de régionalisation.
Sur quels principes cette régionalisation se base-t-elle ?
D’abord sur celui de la subsidiarité, qui consiste à placer au plus près des citoyens les services et les compétences dont ils ont besoin, comme la santé ou l’éducation. D’autre part, si les services publics d’une même région commencent à travailler ensemble, ils ne dépendront plus de la capitale, et le citoyen n’aura plus besoin de se rendre à Bucarest pour résoudre ses problèmes. L’idée est aussi de réduire les coûts de déplacement, de communication et d’organisation. Ceci étant, seule une régionalisation bien pensée peut amener des effets positifs. Peu importe le nombre de régions que l’on dessinera, ce qui compte est avant tout la manière dont les institutions et les services publics seront conçus. En termes de découpage, il s’agira de garder les départements, et de rajouter un niveau entre eux et le gouvernement, c’est-à-dire la région. Les départements sont très importants, ils existent depuis longtemps et la population y est très attachée, tout comme aux régions historiques. Pour le moment, la population est encore en consultation (des élections pour élire les représentants des autorités régionales sont prévues en décembre de cette année, mais le programme de régionalisation a déjà pris du retard, ndlr).
Cette régionalisation entraîne beaucoup de crispation du côté de la minorité hongroise…
Je pense que la régionalisation ne pourra pas résoudre les problèmes culturels et ethniques. La réponse à ces peurs est, selon moi, la suivante : ce ne sont pas les régions seules qui pourront assurer un cadre de vie optimal aux minorités, mais plutôt les régions en partenariat avec les départements. Car les unités territoriales les plus homogènes sont celles de type départemental, donc les demandes des différents groupes culturels doivent surtout être prises en compte au sein même des départements.
La Roumanie est-elle prête ?
Nous n’avons pas le choix… L’idée n’est pas de savoir si le pays est prêt ou pas, on a pris énormément de retard. Revenons rapidement à 1998. A l’époque, la création des régions a été imaginée comme une phase de transition, qui aurait dû durer maximum 10 ans. Même si la Roumanie a réalisé des progrès, elle palie toujours d’un fort retard par rapport aux pays de l’Ouest, et plus on reportera la modernisation de l’administration, plus les problèmes risquent de s’aggraver. De plus, pour mettre en place la régionalisation, on a besoin d’une volonté politique et d’une forte majorité au pouvoir, qui soutient cette proposition. C’est le cas actuellement, mais jusqu’à quand ? Enfin, si on ne décentralise pas, on ne pourra pas bénéficier du programme des fonds européens pour 2014-2020. Donc, c’est bien maintenant qu’il faut s’y mettre.
Propos recueillis par Julia Beurq (juillet 2013).