Horia Moldovan, vice-doyen de la faculté d’architecture Ion Mincu à Bucarest, est notamment spécialiste de l’histoire de l’architecture. Dans cet entretien, il explique les grandes tendances qui ont marqué les bâtiments de Roumanie depuis le Moyen Age.
Regard : Peut-on parler d’une spécificité de l’architecture roumaine ?
Horia Moldovan : Il est difficile de parler de spécificité car on distingue trois grandes directions de développement de l’architecture en Roumanie, qui ont eu lieu en Transylvanie, en Moldavie et en Valachie. Entre ces trois territoires, il y a évidemment eu des échanges, mais chacun a gardé son parcours à la fois historique et architectural. Au-delà de ces trois régions, il est par ailleurs important de rappeler que la Roumanie couvre une zone qui a toujours été à la frontière de deux mondes : l’Orient ottoman-islamique ou orthodoxe-slave, et l’Occident. On parle donc d’un pays où les influences, les cultures et les civilisations se sont mélangées, ce qui a donné des résultats particuliers. Sans que l’on puisse toutefois parler d’une spécificité de l’architecture roumaine.
Alors comment qualifieriez-vous le style brâncovenesc * ?
Le style brâncovenesc est un mélange d’éléments de décors autochtones et venant du monde ottoman et d’éléments de composition, de l’objet ou de l’ensemble architectural, venant du nord italien. Il est vrai que c’est un style à part, résultat d’un mélange d’influences empruntées de régions très différentes. Il n’est cependant pas le seul qui se soit développé en Roumanie. On peut aussi indiquer, par exemple, l’architecture moldave des 15ème et 16ème siècles qui, même si elle combine des influences d’endroits divers, les intègre dans un style propre. Le style brâncovenesc est donc loin d’être le seul développement architectural original qui se soit répandu dans l’une des trois régions historiques de la Roumanie. Ceci étant, je vous accorde qu’il a représenté l’une des sources les plus revisitées par les architectes roumains de la fin du 19ème siècle et du début du 20ème dans leur quête pour définir un style national. C’est notamment pour cette raison que le style brâncovenesc est devenu le plus connu.
Quand peut-on dater les débuts de l’architecture roumaine ?
Au début du Moyen Age, lorsque apparaît la formation des premières organisations étatiques. On parle de la première moitié du 14ème siècle pour la Valachie, et du début de la deuxième moitié du même siècle pour la Moldavie. De son côté, la Transylvanie est une région un peu particulière car elle fut conquise par les Magyars à partir du 10ème siècle. En 1541 elle devenait principauté autonome sous le contrôle des turcs et en 1699, elle est intégrée à l’empire des Habsbourg. Du coup, depuis le début du Moyen Age, la Transylvanie regarde vers l’Occident d’où elle absorbe les principales influences, même si celles-ci se manifestent avec quelques décalages, comme c’est habituel pour une zone de frontière. Pour revenir à la Moldavie et à la Valachie, il est à noter que le religieux a largement dominé les préoccupations architecturales tout au long du Moyen Age. L’architecture de la Moldavie s’oriente dans une première étape vers le sud orthodoxe et byzantin, tout en étant influencée la Transylvanie. C’est d’ailleurs pour cela que les exemples les plus anciens de l’architecture moldave combinent les caractéristiques orthodoxes byzantines avec des éléments romano-gothiques. Dès ses débuts comme Etat médiéval, la Valachie, elle, a essayé de se tourner vers le sud et le monde orthodoxe d’où elle espérait une aide contre les tendances expansionnistes des Magyars du nord des Carpates. A Curtea de Argeş (sud du pays, ndlr), l’église seigneuriale, qui est l’une des plus vieilles de Valachie, illustre parfaitement l’influence byzantine.
Et après le Moyen Age ?
Dans les régions extra-carpatiques, les villes ont eu une évolution très lente du fait de la menace ottomane qui pesait sur elles, même si ni la Valachie ni la Moldavie n’ont été occupées par les Ottomans. L’influence de la Sublime Porte s’est fait constamment ressentir. Ces pressions permanentes ont retardé le développement de l’urbanisation ; il faudra attendre le début du 19ème siècle pour voir une orientation des villes de Moldavie et de Valachie vers l’Occident. Les premiers signes de cette ouverture vers l’Ouest se situent autour de 1830, quand les deux provinces adoptent leurs règlements organiques. Ces textes sont équivalents à des Constitutions et les lois annexes marquent le début de la modernité urbaine. Les attitudes concernant la ville ont été suivies par des projets publics. A Bucarest, par exemple, le premier projet important financé par l’Etat a été le Théâtre national en 1845-1852 (détruit après un bombardement durant la Seconde Guerre mondiale. Il se situait à l’endroit où se trouve aujourd’hui l’hôtel Novotel sur Calea Victoriei, ndlr). A noter aussi la construction de l’université de Bucarest à partir de 1857.
D’où cette modernisation a-t-elle alors tiré ses principales influences ?
Les premiers architectes qui sont employés dans les deux principautés pour s’occuper de projets de grande ampleur proviennent en majorité d’Europe centrale. Mais à partir de 1850, des architectes roumains s’en vont étudier à Paris. Ils rentrent avec une formation de type Beaux-arts, que l’on va retrouver dans leurs réalisations. A partir des années 1870, la tendance s’accentue, de plus en plus d’architectes roumains partent en France. Du coup, l’architecture et l’urbanisation des villes, spécialement à Bucarest, s’oriente toujours plus vers le modèle français. Il y a aussi la venue d’architectes français qui signent les bâtiments les plus emblématiques de la capitale : l’Athénée roumain, la Caisse d’épargne, le Palais de justice, etc. Cette influence française se prolongera jusqu’à la première moitié du 20ème siècle.
* Le style Brâncovenesc est sans doute le style architectural autochtone le plus connu et le plus repris à l’échelle nationale. Il a été créé à la fin du 17ème siècle par le prince de Valachie Constantin Brâncoveanu, qui lui a donné son nom. Les palais de Potlogi et Mogoşoaia, près de Bucarest, sont les exemples les plus complets de ce style dans le champ de l’architecture résidentielle.
Propos recueillis par Jonas Mercier (juillet 2013).