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Entretien réalisé le mercredi 30 avril en fin de matinée, par téléphone et en roumain.


Depuis douze ans, la Roumanie passait par des dérogations pour détourner l’interdiction européenne d’utilisation des pesticides néonicotinoïdes dans l’agriculture. Le 18 mars dernier, la justice a reconnu que ces dérogations étaient illégales. Un début de changement de paradigme et une victoire pour Eco Ruralis, association représentant 20 000 petits fermiers roumains. Explications avec la présidente de l’organisation, Ramona Duminicioiu…

Comment avez-vous mené le combat sur cette question des néonicotinoïdes ?

Nous l’avons mené aux côtés de Romapis, une fédération d’associations d’apiculteurs qui avaient déjà tenté de s’opposer aux dérogations ministérielles avant la pandémie, mais sans résultat. À deux, ce fut moins difficile. Pour les petits agriculteurs que nous représentons, les pesticides sont un sujet important. Or, le ministère ne nous a jamais consultés sur ces questions ; nous étions complètement ignorés, et ce depuis douze ans. Les autorités européennes nous ont alors encouragés à passer à l’action en faisant appel à la justice. Et la Cour d’appel de Cluj nous a donné raison. Malgré l’interdiction au niveau européen depuis 2013, le ministère de l’Agriculture roumain émettait, chaque année, parfois deux fois par an, des dérogations pour trois produits impliquant deux substances interdites pour le traitement du maïs et du tournesol. Par le passé, elles étaient aussi utilisées pour le colza et la betterave. La décision du 18 mars a donc été une véritable onde de choc, tout le système a réagi. Les quatre grandes associations de l’agriculture intensive, tous membres du lobby COPA-COGECA qui représente les grands acteurs de l’agriculture au niveau européen, ne se sont pas laissé faire. Et ils sont soutenus par le ministère.

Précisément, cette décision de justice va-t-elle être véritablement appliquée ?

Dans la foulée du 18 mars, nous avons écrit directement aux institutions de contrôle leur demandant de détruire les stocks de néonicotinoïdes. Mais nous avons peu d’espoir que cela ait été fait. Le ministère a demandé un recours auprès de la Cour de cassation, sans pour autant parvenir à suspendre la décision qui a été maintenue au motif de l’état de droit. Néanmoins, cela ne les empêche pas de continuer à nous dénigrer. En plus de marteler que notre action aurait avant tout pour but de saboter les intérêts du pays, le fait que nous représentions les petits paysans ne nous donne, selon eux, aucune légitimité sur la question des pesticides. C’est absurde, nous faisons partie d’une Commission nationale d’experts nommés par le ministre de l’Agriculture afin de concevoir le nouveau plan d’action sur les pesticides… Nous avons même été accusés de sabotage de la campagne d’ensemencement du printemps sur 3 millions d’hectares de terre, avec des pertes estimées à 3 milliards d’euros. Rendez-vous compte que durant toutes ces années, les gros exploitants déclaraient n’utiliser ce genre de pesticides que dans des cas exceptionnels. Maintenant, ils affirment qu’ils s’en servent pour toutes les semences du pays… C’est dramatique. Cette victoire est un pas décisif, mais le problème de fond demeure ; ces substances sont encore en vente, et les organismes de contrôle ne font pas leur travail auprès des stations de traitement et de préparation des semences. Les institutions ne collaborent pas entre elles. Sans volonté, il n’y a pas de règles, ni de traçabilité, mais beaucoup d’illégalités car des sommes d’argent conséquentes sont en jeu. Par ailleurs, imaginez que la Roumanie compte aussi des stations de traitement et de préparation des semences pour une vingtaine de pays hors Union européenne, dont certainement la Russie, ici, sur notre sol.

Au sein de l’Union européenne, la question semble avoir été réglée en 2023 suite à une décision de la Cour de justice de l’UE interdisant une nouvelle fois les dérogations. Mais la situation reste fragile*. Êtes-vous confiante pour la suite ?

Pour le moment, les autorités et tous les gros fermiers sont remontés contre nous et les apiculteurs, tout comme la presse spécialisée. Quoi qu’il en soit, la première chose à faire était de mettre un terme à tout ça avant d’espérer faire bouger les lignes. Nos décideurs ne sont pas sérieux ; pour eux, le fait de traiter les semences dans des quantités énormes n’a aucune conséquence, ni sur la terre, ni sur les abeilles. À les entendre, ce serait presque écologique… Or, ces produits sont désormais dans nos sols pour très longtemps, il faudrait plutôt s’empresser d’étudier ces phénomènes au lieu de faire l’autruche. Ils ont eu douze ans pour se préparer à ce changement au niveau européen et ils n’ont rien fait. Nous représentons 20 000 membres contre une centaine de gros acteurs, selon les documents du ministère qui raisonne, lui, en termes de chiffres et non d’individus. En Roumanie, plus de 95% des exploitations agricoles ont moins de 10 hectares. Malgré tout, les politiques publiques sont destinées uniquement à 0,5% des fermiers. Chaque année, ces derniers obtenaient des dérogations en seulement deux jours, et c’était normal. Pour la santé de nos sols, de nos abeilles, et de tous les habitants de ce pays, la décision du 18 mars dernier est une victoire historique à laquelle il va falloir se tenir. Il en va aussi de la démocratisation de l’ensemble du secteur agro-alimentaire.

Propos recueillis par Benjamin Ribout (30/04/25).

* Lire cet article de La Croix sur l’interdiction de 2023, et celui-ci du Figaro d’il y a trois jours sur la possible réintroduction des néonicotinoïdes en France.

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