Entretien réalisé le mardi 22 avril dans la matinée, par téléphone et en roumain (depuis La Haye).
Olivia Vereha est co-fondatrice de Code4Romania. Elle s’occupe, entre autres, de mettre en place les solutions numériques proposées par son ONG. Après un premier entretien en avril 2023, elle revient sur les défis numériques auxquels se confronte la Roumanie…
Depuis trois ans, Code4Romania est parvenu à exporter son savoir-faire dans d’autres pays tels que l’Arménie, le Liban, la Géorgie ou encore le Mexique. Comment les choses évoluent-elles en Roumanie ?
Nous proposons effectivement nos solutions à d’autres pays, qui, comme la Roumanie, ont besoin d’instruments numériques efficaces. C’est pour cette raison qu’une partie de nos équipes est désormais basée à la Haye, aux Pays-Bas. Quant à notre mission en Roumanie, elle est restée la même : renforcer l’infrastructure numérique pour résoudre certains blocages dans des domaines clés comme l’éducation, la santé, les services aux personnes vulnérables, la participation civique ou encore l’environnement. Nous travaillons aussi beaucoup sur les aspects de démocratie et de transparence dans différents contextes électoraux afin de permettre aux gens de suivre les résultats en temps réel, ou encore de bien comprendre les enjeux d’un scrutin et plus largement du vote. Nous avons d’ailleurs mis en place une application spécifique dont la nouvelle fonctionnalité permet aux citoyens de signaler toute irrégularité au moment du vote ou lors des campagnes électorales. Les spécialistes du groupe de réflexion Expert Forum rédigent ensuite des rapports et saisissent les autorités le cas échéant. Nous venons également de finaliser un travail de longue haleine, démarré en 2019, qui synthétise ce que le pays doit faire afin de parvenir à une transition numérique en phase avec les besoins des utilisateurs dans les domaines mentionnés plus haut. Nous avons réalisé 38 rapports et échangé avec des milliers d’experts ; plus de 400 solutions numériques ont été proposées pour le pays, dont 70 ont déjà été créées. Le reste suivra. Citons, par exemple, la solution de gestion en matière d’assistance médicale communautaire développée pour le ministère de la Santé. Ou encore la plateforme https://centruldesanatate.info/ro sur l’instruction sanitaire, réalisée avec le Collège des médecins de Roumanie. Précision importante : toute l’infrastructure et les solutions numériques que nous proposons et mettons à disposition sont gratuites.
Comment se passe la collaboration avec les autorités ?
Nos applications n’impliquent pas forcément les autorités publiques, cela varie. Elles ont beau être adoptées par les gens et les ONG notamment, il n’est pas toujours évident de convaincre les autorités, et c’est comme ça depuis nos débuts, en 2016, à l’image de la transition numérique roumaine. Le pays jouit d’avantages, notamment d’une excellente couverture internet, de faibles coûts pour les utilisateurs, ainsi que d’une bonne pénétration des smartphones dans les foyers roumains. Le problème est qu’il n’y a pas de changement systémique. Les autorités préfèrent construire des îlots numériques sans réelle vision de la problématique de la numérisation. Prenez l’opportunité manquée, pour l’instant, que représente l’absorption des fonds PNRR (Plan national de relance et de résilience, ndlr). C’est une occasion fantastique ; 20% de ces fonds sont consacrés à la numérisation, c’est énorme… Autre souci, il n’y pas de politique d’alphabétisation numérique, d’où d’importantes inégalités. Nous faisons en sorte que nos instruments protègent chacun d’entre nous, quelles que soient ses limites. Nous prenons également bien soin d’expliquer vers quoi tendre en matière de normalité. Tout le monde n’a pas la même expérience numérique et il faut éviter les dérives. Surtout en ces temps où certains utilisent la technologie, internet et les réseaux sociaux de manière irresponsable.
Autre enjeu, le coût environnemental des nouvelles technologies*…
Effectivement, et j’en attends plus également sur ce volet en Roumanie. Nos décisionnaires doivent être davantage transparents sur la question du coût des ressources impliquant la construction et l’utilisation des nouvelles technologies. Il est important d’être informé de l’impact d’une solution ou d’un type d’infrastructure sur l’environnement. Dans d’autres pays, ces aspects sont bien mieux expliqués et motivés, les gens se sentent alors plus responsables. J’observe qu’ailleurs on essaie d’encourager un dialogue autour de ces questions, et non pas simplement de restreindre. C’est sans doute plus mature et judicieux car cela permet d’impliquer tout le monde, sans exception. Nous devons nous en inspirer ; ici les gens ne sont pas associés à de tels niveaux de discussion, qu’il s’agisse d’environnement, d’impact des décisions humaines sur les changements climatiques, mais aussi de santé et de bien d’autres questions.
Propos recueillis par Benjamin Ribout (22/04/25).
* Sur ce sujet, lire « L’enfer numérique : voyage au bout d’un like », par Guillaume Pitron.